samedi 25 juin 2011

24 juin - Aftermath

Tentative d'écriture d'un nouveau texte pour Caracteres.ca et qui, finalement, n'est pas à la hauteur de mes attentes pour le grand public. Donc, pour le tout petit public d'ici, ça devrait aller.
Voici "Aftermath"
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On avait tous plus ou moins quinze et seize ans, avec des gueules de premiers de classe ou de parfaits zéros. Cette soirée-là, on nous distinguait une dernière fois : les populaires montaient sur la scène pour récolter leurs prix à deux puis trois reprises, tandis qu’une grande partie de mes proches amis et moi, on restait collés à nos chaises, fourrant notre gueule de salade en maugréant sous les lustres en diamants de l’hôtel Windsor. La musique ne faisait danser personnes d’entre nous alors, vers la fin de la soirée, on s’est dirigés vers les toilettes pour s’ouvrir une bouteille d’absinthe qu’un gars avait ramenée de sa Bulgarie natale. « Mark’s pissing me off… Mathieu, passe la bouteille… L’autobus part dans combien d’temps… Don’t spill this stuff… Viens, goûte à ça, man… »

Je détestais l’alcool, mais par peur de paraître moumoune, j’ai avalé une ou deux gouttes. Entre les cabines et devant les éviers, ça parlait de filles baisables et de pot; ma tête a fait un cent-quatre-vingt, les yeux rivés sur la porte, le malaise au cœur. Je voulais juste prendre l’air, peut-être disparaître dans la brume des onze coups d’horloge. À l’extérieur de l’hôtel, Arnaud se tenait près de la porte principale, une cigarette à la main. « Ma bouche est pâteuse… On va chercher un dép’, en attendant? » J’ai haussé les épaules, puis l’ai suivi, trop déboussolé pour rester complètement seul.

Les autobus ont quitté Montréal vers minuit en direction de Sainte-Agathe-des-Monts. On m’avait fourgué avec les pires crétins de ma promotion, alors je me suis installé dans un coin, le nez collé dans la vitre, avec le walkman qui jouait à plein volume « 1979 » des Smashing Pumpkins. Les forêts défilant devant moi, je revoyais les voyages en famille lorsqu’on visitait nos cousins à Saint-Hubert. Pourquoi, je sais pas. Probablement par simple nostalgie. Après trois heures de routes pendant lesquelles les chauffeurs se sont trompés de chemin deux ou trois fois, on apercevait enfin l’auberge du Petit Bonheur, ainsi que le lac plongé dans la pénombre. Tout s’est déroulé à une vitesse hallucinante…

J’ai pris une bière avec un coupon, mais c’était dégueu et j’ai failli la jeter, mais Marc voulait la finir alors je lui ai donnée, avec mes autres coupons pendant qu’Arnaud, peté, m’emmenait au feu pas trop loin en me passant sa pipe à mari que j’ai fumée sans détester, au même instant qu’Ionut s’est jeté dans le feu de joie pour faire rire la galerie avant de se rafraichir dans le lac, et je suis resté assis sur un bûche pendant un bon moment, mais comme personne ne me parlait, je suis parti pour aller dans la Dance Shack où une bonne dizaine de filles se frottaient les fesses sur « One, Two, Step » pendant que je m’asseyais dans un fauteuil, les fixant la bave à la bouche, et comme Roland frenchait Taline, la fille de mes rêves, juste à côté de moi, ça m’a dégoûté pis le party finissait là dans ma tête, parce que, sans slow pour me coller à n’importe quelle soûlone, il n’y avait aucune chance que ça se termine en baise, et pourtant y'avait cette fille très suave et anglaise qui a commencé à me parler et m’a dit que c’était dommage que ce fût seulement la première fois qu’on se parle, alors j’ai raconté une blague qui a mal tourné parce que j’étais trop nerveux et elle s’est retournée avant d’aller se chercher à boire pour ne plus revenir, et Roland qui suçait encore les amygdales de l’autre, j’ai voulu les décoller et en profiter, mais j’ai préféré garder mes illusions pour moi-même et me réfugier dans notre chambre commune pour lire un truc, et pendant que je montais la bute, Drouin m’a averti que Mathieu « feelait comme un truck à vidange », mais je m’en foutais pas mal, souhaitant simplement que toute la terre me sacre la paix avec mes illusions brisées, tandis que la brume commençait à flotter au dessus du lac et j’ai trouvé ça joli... Mais sans caméra ni rien, ça valait pas le coup de rester planté là... J’ai continué mon chemin en passant par-dessus Steven, couché en plein milieu du chemin de terre avec sa bouteille d’Absolut de quarante once presque vide, aussi pathétique que jamais, quoique ça m’a fait rire pendant deux bonnes minutes, mais la solitude a vite rappliqué et dans la chambre, il a fallut que je m’occupe de Vincent et Maxime qui vomissait à chaque cinq secondes et c’était pénible, mais moins qu’au moment où Roland s’est fait transporté jusqu’à son lit, répétant qu’il ne l’aimait même pas et on a rigolé quand il s’est mis à pleurer, on était vraiment des sales cons, Drouin et moi, puis il a commencé à faire clair dehors, et des cris sortaient d’une chambre pas trop loin, des gens courraient et j’ai entendu « Mettez-lui la tête sur le côté! », alors je suis allé voir, mais il y avait trop de monde et donc on ne voyait rien, et Arnaud, couché sur un sofa pas trop loin m’a raconté que Mathieu avait calé le quarante once avec Steven et j’aurais paniqué si je n’avais pas été si fatigué de partir toujours à gauche et à droite sans avoir un moment de pur bonheur avec une paire de boules, mais quand j’ai aperçu l’ambulance entrer dans la cour, j’avais la tête entre les jambes, me sentant coupable de ne pas avoir aidé le gars, et quand l’organisatrice a demandé qui connaissait son numéro de téléphone pour avertir ses parents et monter dans l'ambulance avec lui, j’ai fermé ma gueule en pensant que j’avais encore un centième de chance avec une petite niaise, et la civière est passée sous mes yeux... alors je me suis retourné, me dirigeant vers le Shack rendu complètement vide à part quelques épaves sur des sofas. Et le soleil planait sur le lac, au travers de la fenêtre, tandis que je m’asseyais au banc du piano caché derrière une large toile « Promotion 2004-2005 », et j’ai tenté de jouer « Clocks » de Coldplay.

Le temps s’est arrêté là. La musique contrôlait à peine le débit de mes larmes. Je culpabilisais, mais sans rien faire pour m'enlever le poids des épaules. Durant le trajet du retour, j’ai repensé à la brume sur le lac, pendant que mon walkman chantait « If you could see it, then you’d understand ».


Pendant un an, j'ai rêvé à lui, soir après soir après soir, sans arrêt. Je le voyais dans le Cactus, près de l'Équateur et il était content de me voir, mais pas aussi content que moi je pouvais l'être. Et chaque matin, jour après jours après jour, sans arrêt, je me réveillais en pleurant, sans savoir s'il était encore dans le coma éthylique. Au début de septembre 2006, le contact a été rétabli. J'arrive plus à me souvenir qui de nous deux a fait le contact, mais honnêtement, ça n'avait pas autant d'importance que de savoir qu'il s'en était sorti à peine quelques jours après le bal. Il allait au collège Dawson pour son cégep, ayant trouvé lui aussi que l'univers brébovin se résumait à du crottin de bœuf. Deux semaines plus tard, un gars a fait une fusillade dans le collège. Cette fois, j'ai pas attendu pour savoir s'il vivait encore.

Une chance, il n'avait pas de cours, ce 13 septembre là...

Et pourtant, il m'arrive encore de rêver à lui comme si je sortais encore de ce cauchemar d'après-bal.

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