mercredi 30 juin 2010

L'homme qui regardait les femmes, 1

Tiré du recueil de Frédéric Beigbeder: "Nouvelles sous ecstasy"

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L'hymne des plages, selon moi, n'est pas Sea, Sex and Sun de Serge Gainsbourg mais plutôt J'aime regarder les filles de Patrick Coutin.
C'est une chanson magnifique: "J'aime regarder les filles qui marchent sur la plage / Quand elles se déshabillent et font semblant d'être sages." Chaque fois que je m'allonge sur du sable, j'entends cette ode à la frustration, cette apologie du voyeurisme balnéaire. Je pense à ces milliers d'après-midi écrasants, passés à observer les demoiselles dorées, en monokini, à Bidart, Biarritz ou Saint-Tropez, sans jamais oser les aborder. Je suis convaincu que ces innombrables heures de contemplation timide ont fait de moi l'ignoble obsédé sexuel que je suis devenu.
"Leur poitrine gonflée par le désir de vivre / Leurs yeux qui se demandent : mais quel est ce garçon?" Il y a un crescendo violent dans la chanson de Coutin qui traduit bien l'impuissance exaspérée du vacancier hétérosexuel, anéanti par la chaleur, cerné par une atroce beauté incontrôlée. Les filles gambadent, soulèvent le sable brûlant, crient des prénoms de garçons plus bronzés que lui. Elles sortent de l'eau les tétons mauves; les poils taillés de leur sexe se collent contre le slip de bain. Elles embrassent des surfeurs australiens, ou des disc-jockeys camarguais. Elles ignorent les garçons malingres et verdâtres qui lisent des livres, la bite enfoncée dans leur serviette éponge. Elles ne remarquent même pas ces admirateurs tétanisés, trouillards de la veste, ces amoureux muets, ces aigris romantiques. Merci à Coutin d'avoir rendu hommage à la douleur silencieuse de l'été.
Pourquoi laisse-t-on les filles de seize ans se balader en liberté sur les bords de mer? Leur gorge tendue, leurs fesses cambrées, leurs lèvres heureuses de sucer un esquimau à la fraise, leur colonne vertébrale soyeuse, leurs clavicules fragiles, leurs cheveux mouillés, leurs dents blanches comme l'écume, leur fente étroite, leur langue fraîche, la marque blanche de leur maillot, leurs petits pieds aux orteils vernis, leurs seins en adéquation avec ma main...
J'aime écrire les filles. Que faire quand on tombe amoureux de cent filles à la fois? Leurs nombrils sont des piscines remplies d'huile solaire. J'avais seize ans quand ça a commencé. Maintenant j'en ai le double et rien n'a changé. J'écris ça à Formentera, en juin 1997, ma fiancée est à mes côtés et pourtant, cette malédiction continue: toute ma vie je scruterai le défilé de l'innocence cruelle.
Aujourd'hui que je suis un grand écrivain tiré à dix mille exemplaires, je n'oublie pas que vous m'avez brisé le cœur, bande de petites garces.

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Bon sang, va falloir que j'me retape ce livre au complet pour la 10e fois, j'pense...

lundi 21 juin 2010

Ces jours-là

On a tous le droit de sourire ou de pleurer. Aujourd'hui est un jour d'absence, tout comme samedi était une journée qui annonçait l'absence. Le départ d'une personne ou d'un rêve, est-ce la même chose? D'un côté comme de l'autre, un vide se crée en nous. Reste à savoir si c'est la dernière fois que l'on voit cette personne qui part.

"J'aiiiii tant aimé... Virginie! Je suis un homme fini! Tout est fini, tout est fini!" On va parler de Virginie, cette charmante jeune femme que je n'ai jamais eu le temps d'aimer. Dédale avait pourtant averti son fils de ne pas trop s'approcher du soleil... The Devil Is In The Detail, comme le dit le dicton: plus on s'approche, plus nos plumes fondent rapidement et la chute est inévitable. Il n'y a et n'y aura jamais aucun roi soleil... Enfin, heureusement, Icare est tombé dans la mer plutôt que de s'effondrer sur un pavé de béton. La tronche qu'il aurait eu, oh là là... La mer, eau purificatrice, douce et dure à la fois.
"La mer me ressemble
Puisqu’elle a ses colères
Ses abîmes insondés
Où elle cache son or
Et ses amants noyés
On la croit fragile
Quand elle vient se briser
Aux grands rochers têtus
Des falaises immobiles
Dont elle use le pied."

Et encore là, je me demande: le mieux est-il de savoir que c'est la dernière fois que je croise son chemin, ou d'espérer quand même rester en contact? J'aimerais dire que je serais prêt à tout pour l'effacer de ma mémoire plutôt que d'espérer dans le vide. J'aimerais jeter cette minuscule fleur, oublier son regard absent, sa voix et son odeur. Je foutrais la bobine de mon film au feu, aussitôt le montage fini, et enfin passer à autre chose. Ne plus jamais penser à l'actrice française.
Tout revient à dire que le meilleur est à venir... Why do we fall, master Bruce? So we might learn to pick ourselves up.

Et pour ce qui est du paternel qui rejoint ses souvenirs lointains, de l'autre côté de l'océan... Encore là, je repense à mon texte "Séjour" que j'ai glissé dans son sac de voyage à son insu... Comme j'aimerais que ce texte ne se réalise pas...

Le vide me rempli. Étrange. J'aurais préféré rester stupide et me contenter d'observer le gazon pousser, j'pense. L'autre disait que l'amour est sans pitié. Ouin. C'est le bonheur. "Le ciel bleu et le chant des paqueretteeeees! La lalalalaaaa!" :D

Salut, les disciples. J'vous laisse une toune qui fitte, tsééé: I Shot The Sherrif Called Stephanie

ps. de meme: j'envoie chier d'abord les interprètes suivants: Lionel Ritchie et Diana Ross, ainsi que Dieu pour s'être ouvertement foutu de ma gueule, quand leur toune a joué pendant que j'étais seul avec Virginie dans son char, à 3h du matin, sur le chemin du retour. Vraiment, c'tait un crisse de coup bas. Thanks for nothing.

vendredi 11 juin 2010

Une Actrice Française

Une Actrice Française (ou La Naufragée)

1) Plan d'une maison dans laquelle on voit Charlotte, une belle jeune fille aux cheveux bruns, répète une scène de théâtre. À chaque faux pas (elle rit, décroche, désespère, etc.), le plan coupe et revient au début de sa scène. Maximum 5 fois. Ambiance de banlieue.

2) Salle de répétition, au cégep. Charlotte, observant les autres comédiens et comédiennes jouer, se tourne vers le metteur en scène et lui demande à parler en privé, à l'écart du groupe. Elle lui dit: "J'ai de la misère avec cette partie-là (elle lui montre le texte)... Ça fait trop fake... Trop forcé, comme accent." Il répond vaguement, toujours en regardant les autres au loin: "Prends pas ça trop au sérieux, c'est très bien ce que tu fais. Fais les exercices pis tout va bien aller." Plan de Charlotte déçue. Elle s'assied et continue de regarder le reste de la troupe avant de se replonger dans son texte, lisant à elle-même une ligne.

3) Chambre de Charlotte. Sur son lit, elle fume une cigarette en écoutant de la musique folk. Elle surligne ses lignes dans le script. Après une longue bouffée, elle fixe le texte pendant un moment et finit par le ranger/jeter en bas du lit. Elle ferme la stéréo et allume la télévision. 30 secondes plus tard, elle la ferme, prend son paquet de cigarettes... Vide. "...Ok, dép."

4) Charlotte marche dans la rue lorsqu'elle reçoit l'appel d'une amie. Elle répond avec un sourire. Son amie lui propose de sortir prendre un verre en ville, mais elle ne peut pas. "Chu en pleine fin de session, avec la répète pis la job... ça suck la marde, j'sais ben... Ok, bye." Elle ferme son cellulaire et s'arrête, étourdie. Assise sur le trottoir, elle pose la tête dans ses mains, le corps penché. Une voiture passe, elle relève rapidement la tête, essuie ses yeux, puis se relève.

5) Dans un petit local, Charlotte et 3-4 personnes écoutent Mike qui joue de la guitare. Il essaie de nouvelles chansons pour un prochain EP en anglais et leur demande leur avis. Elle lui dit qu'elle ne comprend pas un mot, mais que la mélodie est belle. À la blague, elle lui dit: "Tu devrais chanter en français. Pour ta friend qui est trop chix, tsé!" Mike répond: "T'aurais pas une meilleure raison du genre que c'est la langue de la province?" Elle: "Ouin aussi... Mais tsé, la politique, c'est trop pas mon genre. Pis chu chix ça fait que tu vas changer! Haha!" Mike la regarde croche et lui lance une dernière remarque avant de partir: "T'es tellement vide d'esprit... C'est pas ton texte qui est fake, c'est toi, crisse." Elle prend la remarque pour une blague et rit maladroitement. Aussitôt qu'il quitte, Charlotte regarde les autres et fait une grimace de dégoût dans son dos. Un des gars se lève et rejoint Mike pour écouter d'autres de ses chansons.

6) Dans un parc vide, en pleine nuit, Charlotte est sur un banc et récite plusieurs lignes différentes sans avoir le texte devant elle (il fait trop sombre pour qu'elle puisse lire quoi que ce soit). Elle prend un accent français poussé après avoir "suffisamment" répéter. À plusieurs reprises, elle s'égare et perd le fil de ses idées. Elle sort une cigarette, puis la range. "Une fois que tu l'auras comme du monde, p'tite fille. Seulement quand tu l'auras comme il le faut." Un type s'avance et s'arrête devant elle. Charlotte fait le saut en le voyant. Il s'excuse: "J'voulais pas te faire peur... Je t'ai entendu parler, pis tu semblais pas au téléphone... J'peux m'asseoir?" Elle enlève son sac du banc et lui laisse un grand espace. Surpris, il la rassure: "J'veux pas te déranger. C'est juste... J'dors pas, pis je pensais que ça ferait d'la jasette pour passer le temps." Elle lui dit qu'elle non plus ne dort plus. Il demande à voir son texte, malgré les avertissements de Charlotte ("Tu verras rien"). Lorsqu'elle lui tend le paquet de feuilles écornées, la première chose qu'il fait est de sentir l'odeur des pages qu'il tourne. "Inquiète-toi pas, j'suis pas un freak, c'est juste que l'odeur d'une chose en dit long sur l'importance qu'elle a pour la propriétaire. Si tes choses sentent le parfum, ça risque fort d'avoir plus d'importance que quelque chose qui pue ou, pire, qui sent rien. Ou sinon, ça veut juste dire que tu parfume tout pis que t'es une personne superficielle." Elle le perce du regard, offensée, et récupère son texte. Il lui dit de ne pas paniquer, qu'il ne la visait pas. Il continue à parler avec elle. La caméra s'éloigne lentement. On les perd dans l'obscurité.

7) Lendemain matin, avec le soleil qui rempli la chambre de Charlotte de lumière. La télévision encore ouverte au poste des nouvelles: une fête nocturne a tourné au drame lorsqu'une jeune fille a décidé de se jeter à la rivière le jour où elle s'est fiancée avec sa copine. Charlotte regarde les images, le visage pétrifié. Plan large de la pièce. Une publicité joyeuse de yogourt crie son slogan à tue tête en chantant.

8) Plan séquence dans la voiture. Charlotte se rend au bord de la rivière des Milles-Îles. Elle prend le bouquet de fleurs sur la banquette arrière, ferme la porte et descend à la berge (elle disparaît du cadre). Elle revient deux minutes plus tard et s'installe sur la banquette arrière. On l'entend pleurer.

9) Dans le local où Mike pratiquait, Charlotte tape plusieurs lignes sur son ordinateur portable, le cachant le plus possible du regard des autres, puis ferme l'application et enfin l'ordinateur. Elle sort, se dirige vers la porte extérieure, et fume une cigarette, seule. À nouveau, elle pratique son accent français. Elle ne fait plus aucune faute. Sérieuse d'abord. Souriante ensuite.

...à suivre, j'guess...