mardi 24 mai 2011

24 mai - Avoir 15 ans

Ça a commencé tout simplement par un rassemblement dans un centre d'achat, le même depuis une quinzaine d'années. Des représentants de Nintendo étaient à une table pour sortir en exclusivité des casse-tête du royaume d'Hyrule pour le 25e anniversaire de Zelda. Et moi, d'abord excité, puis furieux. "Vous savez que ce que vous faites, c'est mal?" ai-je demandé, après qu'un des représentants me dise qu'il s'agit en fait de toutes les cartes depuis le début, rassemblées pour la première fois, créant la vraie map. Le sceau qui unit toutes les époques. Bref, la Légende de la Timeline enfin dévoilée. "Vous savez que les créateurs ne voulaient pas la divulguer. La légende de la Timeline doit être gardée secrète pour que les joueurs la créent eux-mêmes. Bravo. Vous venez de gâcher les illusions de millions de kids."

J'ai eu envie de scraper tous leurs foutus casse-tête, mais à la place... Je me suis mis à flotter au loin. Jusqu'à la Grèce espagnole. D'abord au-dessus de la métropole, j'ai eu le vertige, puis les villages, avant de finir près des ruines antiques. Ici, rien de glamour comme dans les Indiana Jones. Tout est objet de recherche, tout est crade et tout fout la trouille. Il a fait noir sans prévenir. Sous le ciel bourgogne tomate de l'Italie grecque, j'ai vu mon père s'avancer à pas décidé avec de la dynamite dans les mains, déposant les bâtons sur la plutôt haute stèle de pierre en L, sur laquelle plusieurs symboles et hiéroglyphes étaient inscrits. Il ne lui restait qu'à faire flotter au dessus de la pierre les trois billets d'or luminescent. Une fois allumés, il s'est éloigné, incanté, fait exploser...
Mon père venait de déclencher le souffler de la mort sur la Terre... En faisant éclater la rocaille, il a libéré la tête de la Méduse, qui répandait de sa bouche sur la cité toutes les âmes qu'elle a tuées, les utilisant pour nous transpercer le cœur à tous.

Premier réflexe: se cacher. Au plus vite. Tout le monde dans les rues mourrait transpercé par des esprits démoniaques, et moi, le meilleur truc que j'ai trouvé à faire, c'était de me cacher dans une maison de banlieue... Heureusement pour nous, cela semblait nous garantir la vie sauve. Pour un moment, du moins. Restant quelques temps derrière la fenêtre pour assister au génocide, moi et les autres occupants de la maison avons décidé de se réfugiés au sous-sol. Une fille de mon cours, une grande blonde, m'a laissé avec sa jeune sœur qui me regardait comme s'il n'y avait pas de tuerie monstre dehors. J'ai essayé de la rassurée, mais ça ne changeait rien à son doux regard. Un bisou sur les lèvres... "Tu sais que j'ai 25 ans, right?" je demande à voix haute, pendant que je pensais "Tu sais que t'as juste 15 ans... et c'est clair que tu sens mon odeur de cigarette, right?" Son visage, un mélange agréable de Courtney Merritt et d'Emma Roberts (voir au bas), entre 15 et 16 ans. Et elle m'embrasse à nouveau.
Awesome.

Alors pendant que la gorgone tuait quiconque passait par là, moi j'étais en train de me dire: "Si on pouvait juste s'embrasser tout le temps... Je sais qu'elle voudrait pas nécessairement sortir avec moi, mais j'ai l'impression qu'il y aurait quand même de quoi à en tirer." Ça et le bonheur, la libération de savoir qu'il n'y aurait pas de couchette.

Je suis retourné à mes occupations précédentes, pour bien protéger la maison, mais avant d'aller plus loin, j'ai remarqué qu'une caméra était derrière nous tout ce temps... J'ai rembobiné la cassette afin de voir ce qu'elle avait capturé. Des images de sa grande blonde de sœur, qui s'installe sur le lit, juste à côté du miroir à maquillage où on s'est kiss kiss. Elle ouvre son gilet pour laisser paraître un large bustier. Ffwd. Elle ramène sa sœur avec elle, et toutes deux font les belles devant le kodak. Le malaise en moi, ça crachait, ça pleurait. Pas elle, tout mais pas elle. Les deux en décolté... J'en avais honte pour elle, son goût de pêche encore présent sur mes lèvres...

KLANG! Une vitre au premier venait d'éclater! En montant, j'ai vu une chose affreuse et qui pourtant me laissant à moitié satisfait. Buu, transpercé lui aussi par les esprits tueurs de la Méduse. Pas qu'une fois. Deux, trois, quatre fois! Chaque fois, ses morceaux se régénéraient individuellement. L'horreur... Même chose pour Cell. Nos ennemis les plus féroces étaient terrassés par une foutue démone de la Grèce antique!
Et quelque chose de pire se préparait, tout en étant la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Freezer, lui-même découpé en plusieurs endroits, s'est mis à se reconstituer devant nous avec d'autres parties de Buu et de Cell. À trois pieds de moi se dressait un ennemi ultimement puissant... qui réussirait peut-être à éliminer la tête de la Méduse.

Et je n'avais que deux choses en tête: "faites qu'il soit de notre côté", et "Faut que j'éloigne ma belle d'ici, au plus vite." Parce que, God, qu'elle est belle.

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Réveil vers 13h30...
C'était quand même epic comme rêve.

DM.



Emma./////////////////////////// Courtney.

lundi 23 mai 2011

23 mai - Poème du Gabon

Sur les bords de l’Atlantique se coule une lueur rougeoyante. Les bateaux se bercent au port, sous les vagues naissantes du crépuscule, et l’air laisse une caresse humide sur mon cou. Lentement, les gens installent tables et chaises à l’extérieur, bières en main. On espère une pluie d’étoile mémorable.

La tête dans les nuages, le vertige me prend d’assaut, l’épiderme fragile à chaque brise. Peut-être m’asseoir, rester couché sur le sable, et me faire chatouiller par l’océan. Ou continuer la marche routinière, dépasser la zone résidentielle pour ne plus voir qu’une pluie noire. Si la chance me revient, peut-être qu’une jeune femme m’attendra au bout du chemin, m’accompagnera durant le trajet du retour. Mais pour l’instant, rien à l’horizon; une luciole passe et s’éteint, une mère appelle ses enfants, un camion de cargaison traverse la grande avenue.

En m’approchant de la colline qui surplombe le village, Port-Gentil devient silencieux, murmure quelques rires ici et là. Au sommet, ma main touche le ciel, attrape une étoile et la laisse partir avant d’en prendre une autre au passage. Mon corps plonge dans l’univers argenté des perséides, léger et frais. Le silence nocturne parfume mes yeux grands ouverts. Je suis une bulle sans direction. Ni là-haut, ni ici-bas, entre plénitude et démantèlement. Une étoile meurt pour en faire vivre une autre.


Chasser le vent

Jusqu’à l’aube

Jusqu’à la plaine

Traverser les torrents

Une voile solitaire

Sur mon bateau volant

Au dessus des marées lunaires

Chasser le vent au creux de mes mains

dimanche 22 mai 2011

22 mai - Les Sueurs Froides

Défi d'Ariane 6. Consignes: “écrire la perte de la virginité d’un point de vue féminin. Le tout, sans utiliser les mots: sexe, virginité et première fois.”

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God que je déteste les mariages. Je veux pas paraître boudeuse, mais je peux pas m'empêcher de me sentir écartée. Toutes mes cousines sont matchées depuis des lunes, et moi, j'ai l'air d'une grosse conne, avec ma robe cheapo que j'ai essayé de rembourrer pour pogner un gars, n'importe qui je m'en fous. Mais ya rien à faire: c'est ma face qui faudrait retaper, avec mes broches et mes cernes, j'ai l'air de c'que je suis. Une éternelle célibataire.


Ya personne de mon âge ici... Soit c'est du monde dans la trentaine, soit c'est des enfants. Heureusement, Hugues, mon cousin préféré qui doit approcher de la quarantaine, reste à mes côtés pour essayer de me faire sourire. Je ris pas, mais je pleure pas. C'est peut-être mieux comme ça. J'ose pas trop manger, à cause de mon régime et tout, mais les services arrêtent pas d'arriver, et je voudrais pas faire ma fine bouche. Alice a quand même dû payer cher pour son mariage. Le moins que j'puisse faire, c'est de faire honneur aux plats qu'elle a choisis.


Peut-être que de danser me changera les idées. Hugues est venu sans sa femme, alors il me propose de l'accompagner sur la piste. La toune hip-hop change au slow... Oh my god... Ya des bras tellement musclés! Collée contre son chest, j'entends son cœur faire bou-boum vite vite. Et c'est pas à cause de la musique. Ça fait boum boum boum dans le mien aussi. "J'ai pas envie que ça finisse." Je le fixe des yeux, comme Wow! Il pense comme moi! On sort avant que le DJ mette une toune pas mal plus dansante, sa main forte sur mon épaule qui fait brrrr. "Bois un peu de vin, ça va te réchauffer". Ça fait trois verres, et pourtant, j'ai pas plus chaud... J'ai la tête qui tourne, par exemple... "On va aller dans ma voiture. On va être mieux, sans grosse musique".


"Tu préfèrerais-tu t'étendre sur la banquette arrière?" Je parle pu. J'écoute, c'est tout. Ma tête est ailleurs, sur spin. Je fais oui de la tête, mais juste un peu. Je veux pas que ça brasse trop. En arrière, il m'installe un coussin improvisé avec une couverture juste trooop douce, comme du satin molletonné, qui finit sur mes épaules nues. Y fait noir, je vois pas grand chose sans mes lunettes que Hugues a retirées. Ses mains parcourent mes bras. "Ça fait tu du bien?" Hummm hummm... Arrête pas... Je sens son haleine chaud sur mon cou, ça sent le parfum cher, subtile... Ses lèvres juste au dessus de mes seins, ses mains sur mes cuisses... oh my god, je comprends pas ce qui se passe... Ya un courant d'air sous ma robe, pendant un instant. Ses doigts glissent plus loin, sa langue sur ma jugulaire. God, je respire tellement fort... Aow! Oh GOD! Ça fait mal! C'est dur en moi. Hugues... Hugues, ça fait mal... "Veux-tu que je ralentisse?" ...non... continue. Ça commence à faire du bien... Je veux pas que ça arrête. J'veux pas que ça arrête... J'aurais juste préféré le faire avec un chum, avant... Mais continue. J'veux pas que ça arrête.


22 mai - Chasser le naturel

Texte réflexif, suite au triptyque "Un Vendredi Seins", écrit en avril dernier, dans le cours de Laure Morali

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Pourquoi certains écrivent-ils, demandait Kraus. Parce qu’ils n’ont pas assez de caractère pour ne pas écrire. L’acte doit d’abord se réfléchir, chercher, creuser, « plonger la plume au plus profond » comme l’a dit Felwin Sarr. Il faut repérer chaque parcelle qui se répète dans toutes nos créations pour en trouver le dénominateur commun et le définir le plus justement possible.

J’ai fouillé ici et là à travers mes textes écrits durant la dernière année pour y dénicher une onde récurrente, mais tout ce que j’y ai trouvé ne se définit qu’en un mot : peur. De ne pas amuser ou divertir, de ne pas être vrai, de ne pas toucher. Quelques rimes pour afficher une tendance poétique ne suffisent pas. Si le travail ne consiste qu’à rendre le texte plus joli, le texte n’évoque pas grand-chose sans la justesse des mots. En évitant mes thèmes fétiches, je tentais de fuir ma mauvaise foi et ma lâcheté : fini, les gars se retenant de pleurer sous une pluie fine, il faut arrêter de se lamenter sur son sort.

Sans travestir ma pensée, je me suis lancé dans un sujet qui me pue au nez, mais qu’il me tardait d’aborder : le goût de la chair. Tout comme le personnage principal, mon sens de la culpabilité m’empêche d’avouer certaines envies en dehors du niveau purement platonique. Et quel meilleur moyen de se libérer de ses mots que de s’analyser d’abord en tant que monstre? Il n’y a aucune justification, que des condamnations auto-infligées.

Un autre thème m’étant cher reste les liens d’amitié entre deux personnes. La relation qu’entretiennent Michel et Johnny s’élève au dessus des paroles et des non-dits, sans jamais risquer une seule fois une rupture quelconque. Il n’y a pas cette épée de Damoclès comme dans un couple, où chaque parti tente de plaire à l’autre dans l’espoir de ne pas finir seul. Le dialogue aussi est d’autant plus facile avec la complicité d’une personne du même sexe et partageant une opinion similaire. Je voulais montrer la possibilité d’un désir pour le corps, avec une touche de dérision nécessaire. La vision pure et chaste de la sexualité, mainte fois reprise dans la plupart de mes textes, devait disparaître et laisser place à une réalité plus contemporaine.

Concernant la forme, j’ai décidé d’épurer le mieux possible la complexité d’un dialogue sans être interrompu par les classiques tirets. Les voix peuvent se différencier si elles sont définies avec justesse, m’obligeant ainsi à travailler sur deux niveaux.

Un langage naturel ne se colore pas que par l’usage de mots banals, tout comme l’écriture ne tente pas d’imiter le réel, mais bien de créer l’illusion. Le narrateur, naïf et atteint de déficit d’attention, ne peut pas recréer les mots; il les attrape au vol comme ils arrivent, et les considère tous vrais. Dans les moments de solitude, les pensées se dirigent dans tous les sens. Un rien inspire mille images, associant chacune d’entre elles à un souvenir lointain ou rapproché.

L’écriture, c’est un peu ça. On se laisse distraire, un détail jailli du cadre, on observe, puis on décrit. Parfois, les éléments qui nous dépassent sont ceux qui nous décrivent le mieux, et c’est dans cette position que j’ai laissé la parole à Michel au cours du premier texte. Les mots qu’il utilise reflètent ma vision du sujet tout en restant légèrement écarté, comme un miroir déformant. À la session d’automne, j’ai tenté de me concentrer sur l’énonciation télescopée, et j’ai continué à travailler sur cette méthode de différentes manières, sans arriver clairement au but, alors qu’au fond ma démarche se situait davantage au niveau de la structure.

Intégrer la poésie à la prose ne doit pas être vu comme un défi, mais plutôt comme une vision essentielle de la littérature. Elle ajoute une sensibilité à l’écriture qui l’élève au-delà du simple commentaire critique et permet une ambigüité chez le lecteur, lui laissant le choix d’interpréter le texte à sa manière. Dans mon triptyque, cette ambigüité s’est illustrée dans le rapprochement de façon assez légère entre les agrumes et le corps féminin, ce dernier étant décrit le moins possible. Sans prostituer son écriture, il reste possible de ne pas tomber dans la vulgarité.

L’ensemble de ces trois textes aurait facilement pu tomber dans cette facilité, d’ailleurs. Ici, il faut prouver une bonne volonté et ne pas se laisser emporter. J’ai remarqué une grande difficulté chez moi à exprimer une émotion claire dans mes textes, et c’est pourquoi la plupart des narrateurs n’en montrent aucune, ou rarement. L’esprit d’analyse concentre mieux le noyau de l’histoire. Pourquoi une personne dirait-elle ouvertement qu’elle est triste, alors que de montrer une main tremblante et des paroles embrouillées est bien plus révélateur? Bien sûr, avec l’aide de la poésie, les champs lexicaux s’étendent à perte de vue. Ceci dit, je continue de croire qu’un simple choix de mots peut aller aussi loin sans la poésie, s’il est juste.

Peut-être qu’il ne s’agit pas d’être bien écouté. Seulement d’être ressenti. Un mot sale et bête, pour décrire un moment qui l’est tout autant. Une banalité décrite par un mot banal. Tourner en dérision le langage.

Faut-il voir la littérature comme un appel à l’autre, ou comme le partage d’une impression? Écrire ce que l’autre veut ou voudrait lire, ou rester soit même? Je crois qu’il s’agit d’être entre les deux : conscient de sa plume, de son vécu, l’auteur se doit d’être à l’écoute de son lecteur, lui aussi conscient du devoir de l’auteur. Pendant plus de deux ans, je me suis penché sur mon écriture : entre réalité et fiction, amertume et simple rigolade, je réalise que bien peu de mes textes plongent jusqu’au fond des mots, même si je continue de creuser sans relâche.

L’écriture est un exutoire pour le réel, et non pour la frivolité du mouvement. Il me faut me battre contre les mots épuisés, vivre des expressions qu’il reste à créer. Chercher la nature là où elle ne se trouve pas. Changer des monstres en humains, et vice versa.

22 mai - Vendredi Seins 3: Balade à Montréal

Troisième et dernière partie du triptyque écrit en avril dernier

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Je déteste avoir à fuir dans de telles situations. Avec la cigarette au bec, j’ai la jauge de culpabilité qui monte dans le tapis. À ma gauche, une femme passe avec sa petite fille. Le moindre sourire sur mon visage, à la vue de la petite écharpe rouge baiser de l’enfant, me ramène à ma nature de pervers. Les deux yeux pochés, laitue bacon, l’odeur de bière pas chère qui ne partira pas avant une bonne douche, et l’armée de poils de Fellini, longs, blancs, et frisés sur mon beau complet. J’ai la gueule d’un tueur. Dieu est un fumeur de Havane, et moi, et moi, et moi… Tu n’es qu’un fumier.

Je suis parti sans faire d’erreur, sur la note que j’ai laissée à mon partner. J’ai fuit sans trop de bruit, la tête encore dans les nuages. Sur la rue Saint-André, les fantômes que je croise prennent peu à peu leur couleur. Les femmes et leurs poussettes, le malaise me prend. J’ai encore l’odeur de Summers collée aux joues; certaines fleurs ne veulent simplement pas se faire oublier. Ses rallonges de sable d’ange, son corset de dentelle blanche et ses yeux sombres, son cou respirant la meringue fraîchement coupée, la bouteille de shampoing aux fruits stroboscopiques et la chaleur d’une nuit d’été. Summers portait bien son nom.

Il ne suffit qu’un flash de ses pommes d’Ève pour me pincer l’intérieur de la bouche, l’amertume qui passe à l’attaque. Sa fleur hante mon estomac qui ne lui laisse que des baisers poison. Je passe en revue chaque tissu qui expire le souffle de son corps.

Un couple dans la trentaine se rend au boulot en petite voiture, un vieillard cherche des mégots dans les bancs de neige, et mon énorme pif de juif qui rumine toutes sortes d’idées. Marche, cours, prends le métro. Toujours la tête droit devant. Il ne faut pas que je me mette à penser : Qu’est-ce que la communauté va penser? Suis-je une ordure? Je peux mettre ça sur le dos de la société?

Sur une feuille de mon calepin se dessinent des gens fixant le plancher, préférant rester chez eux plutôt que de travailler, à perdre trente ans de leur vie à se demander ce qu’ils mangeront pour souper. Eux aussi ont le soleil citron au dessus de la tête.

Je reviens à la surface de la terre, et deux enfants tracent des huit sur la neige fraîche du terminus avec leur bicyclette. L’image colle à ma rétine durant le trajet. Les maisons identiques, les restaurants, les itinérants, les hôtels chics, l’école primaire de mon enfance. Une grande cour, deux parcs multicolores, un petit train, des tubes, des grilles rouillées, des passages caillouteux, de la neige mouillée dans le foulard rouge bisou d’un petit garçon, les doigts gelés, qui s’en fout et lance une boule de neige à sa sœur.

Ma pauvre sœur. Elle est si jeune, commence à peine à comprendre les théorèmes, et ne doit jamais connaître les horreurs qu’il m’arrive de penser. Joséphine, ma dernière porte vers l’innocence. Comment résister à une enfant aux yeux caramel qui demande : « T’étais où, hier soir? Y’avait un monstre à la fenêtre, et t’étais pas là! » Éviter les mensonges avec une demie vérité : « J’étais avec un ami, à Montréal. » Surtout ne pas lui dire qu’elle vit en permanence avec un monstre, un crève-cœur sans aucun respect, ni pour lui-même, ni pour les autres. Un junkie se shootant aux artifices corporels, préférant se donner une dernière chance avec une phrase : « Il était humain, avant de devenir une abomination. »

Juste une dernière fois, pose-toi la question : comment on devient un monstre?

22 mai - Vendredi Seins 2: 50 minutes de Summers

Deuxième partie du triptyque écrit en avril dernier

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C’est la dérive du naufragé, sur son radeau enflammé. L’entrée dans le bar se fait en douceur et nous sommes réchauffés par de multiples spots de lumière, des citrons rouges et verts. « Les sucettes » de France Gall joue. Impossible de ne pas sourire jusqu’à m’en fendre les lèvres déjà gercées par le gel. Chaque visage d’ange se transforme en jeune écolière. Ya pas qu’Annie qui est au paradis.

Mitch nous installe à une table au fond sous le regard de la waitress. Il nous faut deux consommations chacun avant de l’apercevoir. Une petite créature au corps filiforme, une branche de céleri à croquis déjà croquée. Ses pas feutrés de chat la dirige vers notre table, et son vent respire l’agrume fraîchement pressé. Vite, fais-moi voir ton sourire.

Des lèvres d’été frais

Une clavicule pamplemousse

Pour caresser mon bonheur

Dans le box, elle murmure. Summers. Au creux de nos mains coule son huile chaude au goût de bonbon fruité. Mes lèvres se rappellent, au contact de sa peau. Les citrons tranchés, au bord de la piscine chez les parents de Michel. Nos gueules d’enfants, déformées par l’essence acide des citrons, à rigoler jusqu’aux larmes pour un rien. Une drogue pour gamin qui a finit par nous rendre amers, les dents serrées, les sueurs incontrôlables, les lèvres brisées et les cernes. Huit ans, et déjà junkies, avides d’un fruit défendu. La cure des cent ans, suivie de la rechute classique et de ses conséquences. Ma bouche qui se ferme sur elle-même, les coins fusionnant, ne laissant qu’une ouverture à peine assez grande pour laisser passer une cuillère à sucre.

Mes paupières sur son épaule plus nue qu’un ver, les glandes lacrymales poussent un léger cri. Summers les entend et pose un baiser pour les faire taire. Trop tard, une grimace fait déjà son parcours sous mon nez. Je paie la citronnade fort cher, une fois encore. Pourquoi est-ce si dur d’être un junkie?

22 mai - Vendredi Seins 1: Les fesses, c'est sain

Première partie d'un triptyque écrit en Atelier 2 d'écriture, en avril dernier

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Michel finit son riz, et j’ai encore une bonne part de poulet à la Guinness dans mon assiette. Ça commence à peser, avec les quatre ou cinq bières déjà ingérées. Bon, qu’est-ce que je dis pour ne pas être impoli? Concentre-toi, Johnny: c’est un repas amical, soit franc, mais sympa.

En tout cas, mon Mitch, c’était dé-li-cieux! Si j’étais pas aussi bourré, je te jure que j’aurais tout englouti! Mais bon, tu connais mon appétit d’oiseau. Ah, ben j’suis content que t’aies aimé ça. Par contre, ta comparaison est fausse, si on pense à ce que disait Norman Bates, à propos de l’appétit et… Oui, mais t’as compris ce que je voulais dire. Enfin, bref… Coucou Fellini. Fefi! Descends de la table! Oh arrête, Mitch, il est mignon quand il se lèche les pattes. J’veux ben, mais y met plein de poil dans nos assiettes, pis après j’pourrai plus en garder pour des lunchs.

Alors, qu’est-ce ça te tente de faire? Je sais pas pour plus tard, mais en attendant, on pourrait juste digérer. T’as une idée en tête, toi? Tu sais à quoi je pense. Michel, doux Jésus, non. Pas encore… Ah come on, Johnny! On est partner ou on l’est pas! Une bonne nuit aux fesses, ça va te faire du bien! Oui, mais pas quand on a déjà bu comme des trous. Il est 20h, on va avoir droit aux meilleures places! T’es pas sérieux? Qui te dit que c’est même ouvert? Nenon, on ne va pas se pointer aux totons à 20h, parce que sinon, ça va être nous, les totons. Tu changes d’avis si je te donne le choix de la place? Qu’est-ce que ça va changer à ma rép… Mitch, pas ces yeux là! Come – on, Jo! Je sais que t’en as envie. On a besoin de ça, comme n’importe quel homme normal. C’est sain, pour le corps et pour l’esprit, d’aller aux fesses. Oui, mais disons que les circonstances sont pas en ma faveur: ma carte de guichet vient d’être bloquée, et… J’ai tout ce qu’il nous faut. Ma paye est entrée, je te front le cash si t’en as besoin. T’as vraiment réponse à tout, mon salaud. Donc, t’es partant? Dis-moi avant pourquoi on a tant besoin d’y aller. Ça va me laisser le temps de digérer.

Pour moi, Jo, aller aux fesses, c’est se procurer à prix modique une aventure sans lendemain. Ça peut être un contact féroce, doux ou passionné. Pas de parlotte, ou très peu, et pas non plus de capote à acheter ou de test à passer. On touche une étoile sans avoir à la couvrir d’abord de compliments. Pas d’appel à tous les soirs, ni de remarques acides à subir, ou de jalousie si t’en regarde une autre.

Oui, mais il faut quand même la payer, la pauvre enf… Tu veux une explication, honnête? Écoute, tu sais très bien à quel point c’est jouissif d’arrêter de prétendre. L’amour pur et platonique qu’on dit chercher, et non le physique: foutaise. Pendant une ou deux heures, on se permet d’être sincère avec nous-mêmes, qu’on aime le cul… Le physique. Je préfère dire « le physique ». Moins vulgaire. Tu t’autocensure encore, mon pauvre ami. Laisse-toi aller, on est juste entre gars. Tu peux dire à ta blonde que t’as pas de fantasme, de peur qu’elle te gueule après parce qu’elle n’a pas le physique adéquat, mais tu ne peux pas mentir à l’oncle Mitch.

Génial, c’est « L’eau à la bouche » qui commence à jouer. Décidément, je suis pris entre deux vrais friands de sexe.

À t’écouter, on serait mieux d’aller directement au bordel. Non, parce qu’avec une pute, ya pas l’aspect le plus important : la retenue. Avec une stripeuse, que tu bandes ou non, elle s’en fout, et toi aussi. Comprends-moi bien: sans les baisers et la pénétration, la relation homme-femme s’en tient à son plus pur état de désir. Aucun complexe à développer. Si tu veux la blonde platine en jupette, tu paies, et t’as du bon temps en te laissant aller, avec un minimum de retenue. Oui, mais ya celles qu’on n’a pas choisies et qui viennent à nous, comme la travesti de 50 ans. Un mot de travers et je me fais mettre dehors. Retiens-toi de parler, dans ce cas-là. Souviens-toi que les premières en piste sont des requins. Tu résistes et t’attends la perle rare. Oui, mais s’il n’y en a pas, je vais attendre combien de… Oui, mais, oui mais, oui mais, c’est tout ce que tu trouve à dire? Reprends-toi, Jo! Arrête de faire semblant et avoue que t’aimes le contact avec une fille sur tes cuisses, caresser sa jupe à carreaux qu’elle défait lentement, laisser ses seins, petits mais fermes, glissant sur tes joues, son odeur de fruit sucré qui colle à ta chemise pendant des heures. Kandi et son nombril plus profond que les fjords de Reykjavik, Jessica et sa crinière plus douce que le velours…

Michel continue son défilé mental, mais tout ce que je vois, c’est Justine avec ses lunettes à montures, ses jambes aussi courtes et frêles que ma charpente, sa veste en fourrure de lapin les jours de glace, son chandail de laine qui laisse sa clavicule respirer, les jours torrides, ses cheveux en petites pointes, doux comme un réveil subtile. Ses yeux tristes quand il pleut.

J’ai perdu, Mitch, tu peux arrêter. Non, mon gars. On gagne. On va se payer une soirée de bonheur. Pas de drague qui ne rapporte rien. Que du bon temps, la face collée aux portes du paradis. Oui, mais pour ça, faudrait d’abord se brancher sur la place. Je te l’ai dit: your call. Oui, mais l’un ou l’autre, on n’y voit jamais les mêmes… Pile ou face, alors? Ouais ok, pile ou face. Si c’est la reine, on reste à placoter comme des matantes, et si c’est l’orignal, on accepte d’être ce qu’on est : des mâles. T’es de mauvaise foi, Mitch.

La pièce tourne, ma tête aussi. L’image de Justine se transforme en vieille peau. Je repense à mon père et sa grosse femme, mon frère et la sienne. Des trop bons gars qui sacrifient leur vie sexuelle pour le bien être d’une baleine sans amour, regrettant de ne pas avoir dans leurs bras une pin-up. J’ai encore le choix de mettre des culottes, d’avouer que je suis un salaud uniquement attiré par les jeunes demoiselles pesant moins que cent kilos. Ou devenir une bonne personne, faire fi du physique, et ne m’intéresser qu’à l’intellect… Basta. C’est pas une pièce qui va décider pour moi.

Jo! Pourquoi tu l’as attrapée? Tu veux plus sortir? Euh, Jo, t’es correct? On dirait que t’as encore mangé un citron: t’as la face comme… Non, ça va. Let’s go, on va prendre les meilleurs sièges.

Ce n’est pas une pièce qui va définir ma nature. Je suis un pervers. C’est mon choix, et je n’ai qu’à assumer, pour une fois. C’est comment, d’être normal?