samedi 15 janvier 2011

15 janv - Confession

Dans le cadre de l'Atelier 2, création littéraire (UQÀM)

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I- Toi

Hiver de gris solitaire, dans lequel nous avions décidé de fêter à notre manière. Pour l'occasion, tu avais acheté des haut-parleurs pour défoncer les murs de la chambre à coup de cent-vingt décibels et de Jack Daniel. Comme à chaque évènement qui me sortait de ma solitude, j'avais apporté ma petite caméra et quelques feuilles. Avais-je prévu que cette soirée finirait comme un de nos plus forts souvenirs commun?
Je t'ai fait lire un de mes poèmes, même si je n'avais aucune confiance face à toi. Tu as souri, m'en a demandé d'autre, tandis que tu enregistrais ma voix frêle et brouillonne réciter un brouillon qui me faisait honte. On écrivait ensuite chacun de notre côté avant de reprendre la folie par les cornes. Format seize-neuf, en noir et blanc, on réussit encore à distinguer tes cheveux blonds de ma crinière noir de jais. Nos chemises longues, prêtes à faire honneur à une pâle copie de Morrison. C'était avant que le Meddley ne ferme, et nous avions 18 ans. Tu dansais dans la chambre, pendant que je filmais la bouteille presque vide.

La cassette avance, recule, pour s'arrêter sur ma main qui ne cesse de gribouiller. L'odeur de la liqueur me revient, la flamme du besoin d'écrire tout ce que nous voyions de notre fenêtre. Il n'y avait que moi et le désir. Peut-être même en ai-je déjà eu pour toi? Je revois mon sourire moqueur et gêné, pétrifié par le fait d'être à jamais capturé dans ta mémoire. "Peut-être que tout ça, au fond, n'est que mascarade", répétais-tu sans cesse, au cours de notre récit poétique. L'image de ces murs beige n'était qu'une sombre illusion d'une chambre enflammée par le besoin de créer. Sur la nuit sauvage qui se terminait, tu dormais de tout ton long sur le lit, alors que je restai éveillé jusqu'à l'aurore pour enfin ne jamais cesser d'écrire.

Et comme je te maudissais, visage derrière la boîte à image, de ne jamais répondre à mes questions. Et je me détestais de continuer à improviser, jouant avec ton silence. Et pourtant, rien ne fût plus divertissant que ce moment, à créer à tes côtés.

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II- Toi

Dans la brume des bars, tu passais devant moi. Aux yeux de toutes, tu semblais comme toujours le préféré. Bien que portant tous deux le veston, tes cheveux blonds et frisés avaient l'avantage sur ma coupe timide et légère. Et pourtant, en aucun cas tu n'as profité de ton apparente célébrité. Tu ne semblais qu'avoir une envie: discuter avec un vieux copain. C'était vendredi saint, et la chaleur nous collait à notre chaise, alors que sur la piste de danse, tous nos fantasmes se laissaient aller au rythme de la musique pop.

J'avais besoin de sortir fumer, alors tu m'as accompagné. Bien que je passai devant, je sentais tous les yeux tournés vers toi, des yeux envieux, tandis que je fixai le mur noir où était inscrit les mots "More than a friend" en blanc. La cigarette au bec, j'enviais le regard massif qui se posait sur toi. Et je te détestais d'avoir cette attention en permanence, mais ces quatre mots revenaient dans ma tête. Les scénarios fusaient de toutes parts. T'avancerais-tu auprès de cette punk aux cheveux rasés sur le côté? Feriez-vous l'amour comme des animaux? Lorsque ce fût elle-même qui s'avança pour te parler, les images que j'avais en tête s'effacèrent. C'était moi, en fait, qui s'effaçait de notre bulle. Je suis devenu moins qu'un ami, plus qu'invisible, jusqu'à ce que tu repousse son amitié et décide de revenir à l'intérieur du bar avec moi.

À notre table habituelle, j'étais rendu nerveux. Ma bière a glissé et, pour rire, j'ai fait semblant que j'avais uriné. Mais le stress était trop présent en moi et mon sourire a vite disparu. En revanche, toi tu paraissais à l'aise, presque confortable. Au bout d'une autre heure, nous sommes ressorti. Deux jeunes filles nous ont parlé. C'était la première fois de la soirée que j'existais. Jusqu'à la sortie des bars, nous étions deux gars et deux filles qui discutions de vêtements, de sexe et de gorilles. En quittant l'établissement, j'ai cru bon suivre nos nouvelles amies. Cette fois, c'était toi qui semblait nerveux. Savions-nous qu'à ce moment, toute cette soirée ne serait qu'un chapitre d'un très long récit? La nuit nous a emmené sur les pistes d'un crime de ruelle, où deux types, arme à la main, cagoule sur la tête, nous ont assurés qu'ils s'étaient occupé des Arabes qui trainaient dans le coin. J'étais saoul, et je n'ai pas senti ton regard tueur quand j'ai dit à voix haute et plein de sarcasme: "Ouais, ben, vive le KKK, hein!"

Tu m'as donné un coup derrière la tête et m'as dit de te suivre. On coupait alors la route avec nos copines pour trouver refuge dans un café quelconque, sur Saint-Denis. Cahier de dessin à la main, j'ai commencé à rédiger furieusement le premier esquisse de cette soirée inattendue. J'avais envie de partager avec toi ce souvenir. Chacun notre calepin, notre vision de l'aventure...


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III- Toi

Près de toi, les mots s'envolaient. Sur les pages blanches, les seules paroles qui semblaient s'y coller n'étaient qu'orduriers et sans propos. Avec toi, sous les couvertures, les minutes paraissaient des heures. La fatigue, l'ennui, le mépris, les sanglots sans relâche. Puis, une année entière nous sépara avant de retrouver une vraie magie.

Il suffisait d'une séparation pour que tu désire enfin venir avec moi au Lac-de-Mai. Chacun de nous baladait sa caméra, capturant chaque moment de la longue marche qui nous rapprochait. Tu as cueilli une vingtaine de ces fleurs en cloche, puis tu les as posées dans le creux de ma main. "C'est pour ta mère". Et tu as continué à marcher devant moi. Ce n'était pas seulement le soleil du printemps; tu rayonnais à part entière. Aucun mot ne fût prononcé de tout le trajet. Le son des vagues était suffisant pour nous remplir la tête de mille images. Tu avais envie de prendre des photos de l'étang, alors tu as marché jusqu'au fond, renfonçant tes espadrilles dans la grande marre boueuse. Tu es revenue à mes côtés le sourire fendu jusqu'aux oreilles. Je connaissais un coin parfait, au bord de l'eau, mais comme c'était un terrain privé, tu as voulu demander au propriétaire si on pouvait s'y promener. Avec ton soleil de sourire, c'était déjà dans la poche. On a descendu les marches en bois qui menaient directement à la berge. À peine avais-je eu le temps d'enlever mon veston que tu avais les deux pieds dans l'eau. J'avais soudainement envie de me baigner, mais j'avais aussi terriblement peur. Alors tu m'as regardé et tes yeux m'ont dit de te suivre. On n'est pas allé très loin. Juste assez pour être mouillé jusqu'au torse. On s'est assis sur une roche qui sortait de l'eau, dos à dos, et on a laissé le silence nous remplir les poumons.

J'aurais aimé souligné chaque mot que je voyais sur les vagues qui berçaient les milles iles, mais je n'avais rien pour décrire autre que mes yeux étourdis. Comme un vide d'expression, comblé de mille pensées inédites.

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IV- Toi

Tu étais déjà très loin. Je t'avais effacé de mes mots, après une overdose de toi, de ta chevelure blonde cendrée, de tes cils parfumés aux yeux bleu de mer foudroyée. Le feu était pourtant toujours allumé, et malgré toute les cendres que j'entassais, toujours les étincelles restaient. Mon père était revenu de Paris depuis près de deux semaines et nous étions au chalet de son ami d'enfance. Je refusais de penser à toi. Le refuge en pleine nature était là pour ça: écrire pendant cinq jour de tout et de rien, loin de toute résonance des derniers mois auprès du soleil que tu étais. Sur le balcon, le troisième jour, j'écoutais mon père et son ami discuter alors que nous buvions notre deuxième bouteille de vin de l'après-midi.

J'ai fait une gaffe en prononçant ton nom. Mon père n'a rien dit, mais Claude a tout de suite demandé si je t'aimais. "J'ai fait une croix, parce que, bon...", mais mes explications ne l'intéressaient pas. Il voulait savoir si je te portais encore dans mon cœur. Mes milles paroles cachées à ton égard me sont revenus en mémoire, mes vingtaines de proses endolories que je n'ai jamais su te dire, elles m'ont envahi. Et j'ai menti, prétendant que c'était fini, les rêves. De l'amour, il n'y en aurais plus que pour mes mots.

La chaise devint inconfortable, l'alcool me montait à la tête, et le soir, j'ai senti le besoin urgent de t'écrire mes sentiments sur une feuille de calepin, pendant que sur l'écran géant jouait un vieux film qui faisait rire les deux aînés. Et une goutte de glisser sur l'encre noir, ma tête dans le goudron, l'acide dans les poumons, je t'ai écrit ma seule lettre d'amour, dont je conserve encore le brouillon dans un coffret en métal, cadeau de mes six ans.

Jamais une personne ne m'auras inspiré tant de scénario que toi. Puisse-tu trouver une meilleure fin que celles de mes tendres illusions.

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V- Toi

Tu avais déjà froid et ne voulais pas sortir. Tu as pourtant été facile à convaincre. "Viens, on va rire" et tu m'as répondu: "Seulement si tu y es aussi." Avec une telle simplicité, comme si nous nous connaissions depuis longtemps, alors qu'on ne s'était parlé pour la première fois que ce soir-là. Dans mes écouteurs, jouait sans cesse une ballade instrumentale à la guitare qui me guidait silencieusement à mon arrêt. Il fallait le voir de ses propres yeux: des maisons rangées à perte de vue, se laissant couvrir tendrement par un fin voile de neige. Le temps s'est arrêté alors que tout n'était que blanc, tes yeux bleus et ta laine rouge dans ma tête.

Tandis que l'angoisse de bien paraître me tuait lentement jusqu'à mon arrivée, tu te préparais langoureusement, encore bien au chaud chez toi. Après ton message, j'ai cru bon arriver plus tôt à la fête où attendaient plusieurs de nos amis. La ville était glaciale et les gens, répugnant. Le vent soufflait la désertion et le malaise. Et tandis que nous en étions à notre deuxième pichet, comme un ange de porcelaine tu débarquais enfin. L'espace était restreint, alors tu t'es assise plus loin avec un ami. Sans savoir pourquoi, j'évitais ton regard, discutant avec tous et chacun. Mais ma tête refusait de ne penser qu'à autre chose qu'à tes petits cheveux blonds, tes yeux d'azur, et ta grosse laine rouge. Tu ressemblais à une enfant dans un monde d'adulte.

Du doigt, tu m'as demandé d'approcher. J'ai fait le bouffon, comme d'habitude, en pensant pouvoir t'amuser. Ton regard triste parlait plus que toi. Et déjà, je sentais pour la millième fois dans ma courte vie que les plus belles choses que j'aurais pu te dire, c'était en fermant ma gueule. En t'écrivant un conte hivernal, doux comme le voile de neige, froid comme tes pupilles, chaud comme ta laine rouge. Pour toi, j'écrirais une mer de bateau voguant au fond des eaux, des récifs perdus que seul le temps rend beau.

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JD, samedi 15 janvier 2011, 16h

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