Devant moi, une nouvelle ville, un autre Montréal. Montréal, l’industrielle, la détruite. Derrière moi, les traces d’une fille que j’ai peut-être détruite. Des arbres en fleurs défilent sous mes yeux, et pourtant l’automne résonne. L’autobus passe devant un port usé, et au-delà, des foreuses abandonnées. Plus loin, des champs de blé font pousser en moi le cultivateur des vieilles terres, des vieilles valeurs. Comment expliquer la peur de fuir pour de vrai, cette fois, devant ces paysages défraichis, la possibilité de ne plus revenir, et laisser enfin derrière de vieilles amitiés.
Ici, tout est clair. Au premier bloc, une chocolaterie, au second, deux ou trois resto-bar, au troisième, deux pharmacies un dépanneur une caisse, au quatrième, un cégep trois restaurants une brasserie une épicerie, à trente minutes de marche, le Vieux Québec, des restaurants à la tonne, les cafés, les vêtements, les peintres, les enfants, la tête qui tourne de fantasme et une femme seule. Logement cinq et demi, onze cents par mois, juste au dessus, près de tout ça, chauffage et internet fourni, la lumière rentre de partout et la vue sur la province. Le landlord veut faire un open house pour célébrer la fin de la rénovation, et mon cercle urbain de Montréal devient tout à coup si effacé, j’en suis désolé. Fuir la grande ville des petites amours, pour rester ici, trouver une fin heureuse…
« If it’s a crime, then I’m guilty, guilty of loving you ». Toute la bande musicale d’Amélie Poulain y passe, dans cette brûlerie de Limoilou, et j’entends siffler, sans savoir si c’est moi ou la serveuse derrière son comptoir. Deux filles parlent de documentaire, « c’est pas la même chose que reporteur », et le sourire me vient facile, surtout en regardant celle avec les lunettes et le petit air de rien. Je m’étais dit : plus jamais les filles à lunettes, et pourtant, avec Amélie en fond, elle est mignonne. La tantine d’hier qui me demandait si je souhaitais rester ici, à laquelle j’ai répondu : « Peut-être plus Montmagny ». « Oh non, j’suis sûr que tu t’ennuierais. » Non. Enfin… Pas nécessairement. C’est plus calme qu’ici. Peut-être finalement… Mais c’est plus calme qu’ici. Tendre, rempli de vieilles mémoires, la maison de mon grand-père, mort devant moi, petit enfant de quatre ans, l’église où se sont mariés mes parents, l’appartement de ma marraine, le Herving, la tantine, le décès de ma grand-mère il y a deux ans. Peut-être, finalement… Ici, il n’y a que de gens vivants, des bonheurs d’enfance conservés comme si c’était la veille. Toute une famille avec le cœur et les bras grands ouverts. Comment refuser tel accueil…
Sur ma machine, les mots s’inscrivent dans le noir, face à une quincaillerie au néon. Tout autour, le vide. Je sais qu’un vélo se trouve à ma droite, une porte arrachée en arrière, mes souliers à gauche, près d’une plante, et pourtant je ne les vois pas. Je sais que derrière moi, une maison, un lit à moi, une pincée d’amis qui ne remettent pas à bientôt, des études motivantes; mais je ne les aperçois pas. Devant moi pourrait se trouver un nouvel univers, une vision épurée de la Montréal détruite que j’ai quittée, une job, une amie de cœur, comme disait mon Jesus Freak de mononcle.
Le confort et l’indifférence… le mal du voyage, revenir à ce qui est sûr, voilà ce qui va me ramener à vous. Au moins en profiter pendant que je vis mon pseudo vagabondage, trouver le fichu téléphérique, aller ailleurs qu’au Vieux, ne pas se perdre, dormir sur un simple matelas, posé à la va vite dans une chambre noire de vide, écrire jusqu’à saigner ici aussi.
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