dimanche 22 mai 2011

22 mai - Vendredi Seins 1: Les fesses, c'est sain

Première partie d'un triptyque écrit en Atelier 2 d'écriture, en avril dernier

---


Michel finit son riz, et j’ai encore une bonne part de poulet à la Guinness dans mon assiette. Ça commence à peser, avec les quatre ou cinq bières déjà ingérées. Bon, qu’est-ce que je dis pour ne pas être impoli? Concentre-toi, Johnny: c’est un repas amical, soit franc, mais sympa.

En tout cas, mon Mitch, c’était dé-li-cieux! Si j’étais pas aussi bourré, je te jure que j’aurais tout englouti! Mais bon, tu connais mon appétit d’oiseau. Ah, ben j’suis content que t’aies aimé ça. Par contre, ta comparaison est fausse, si on pense à ce que disait Norman Bates, à propos de l’appétit et… Oui, mais t’as compris ce que je voulais dire. Enfin, bref… Coucou Fellini. Fefi! Descends de la table! Oh arrête, Mitch, il est mignon quand il se lèche les pattes. J’veux ben, mais y met plein de poil dans nos assiettes, pis après j’pourrai plus en garder pour des lunchs.

Alors, qu’est-ce ça te tente de faire? Je sais pas pour plus tard, mais en attendant, on pourrait juste digérer. T’as une idée en tête, toi? Tu sais à quoi je pense. Michel, doux Jésus, non. Pas encore… Ah come on, Johnny! On est partner ou on l’est pas! Une bonne nuit aux fesses, ça va te faire du bien! Oui, mais pas quand on a déjà bu comme des trous. Il est 20h, on va avoir droit aux meilleures places! T’es pas sérieux? Qui te dit que c’est même ouvert? Nenon, on ne va pas se pointer aux totons à 20h, parce que sinon, ça va être nous, les totons. Tu changes d’avis si je te donne le choix de la place? Qu’est-ce que ça va changer à ma rép… Mitch, pas ces yeux là! Come – on, Jo! Je sais que t’en as envie. On a besoin de ça, comme n’importe quel homme normal. C’est sain, pour le corps et pour l’esprit, d’aller aux fesses. Oui, mais disons que les circonstances sont pas en ma faveur: ma carte de guichet vient d’être bloquée, et… J’ai tout ce qu’il nous faut. Ma paye est entrée, je te front le cash si t’en as besoin. T’as vraiment réponse à tout, mon salaud. Donc, t’es partant? Dis-moi avant pourquoi on a tant besoin d’y aller. Ça va me laisser le temps de digérer.

Pour moi, Jo, aller aux fesses, c’est se procurer à prix modique une aventure sans lendemain. Ça peut être un contact féroce, doux ou passionné. Pas de parlotte, ou très peu, et pas non plus de capote à acheter ou de test à passer. On touche une étoile sans avoir à la couvrir d’abord de compliments. Pas d’appel à tous les soirs, ni de remarques acides à subir, ou de jalousie si t’en regarde une autre.

Oui, mais il faut quand même la payer, la pauvre enf… Tu veux une explication, honnête? Écoute, tu sais très bien à quel point c’est jouissif d’arrêter de prétendre. L’amour pur et platonique qu’on dit chercher, et non le physique: foutaise. Pendant une ou deux heures, on se permet d’être sincère avec nous-mêmes, qu’on aime le cul… Le physique. Je préfère dire « le physique ». Moins vulgaire. Tu t’autocensure encore, mon pauvre ami. Laisse-toi aller, on est juste entre gars. Tu peux dire à ta blonde que t’as pas de fantasme, de peur qu’elle te gueule après parce qu’elle n’a pas le physique adéquat, mais tu ne peux pas mentir à l’oncle Mitch.

Génial, c’est « L’eau à la bouche » qui commence à jouer. Décidément, je suis pris entre deux vrais friands de sexe.

À t’écouter, on serait mieux d’aller directement au bordel. Non, parce qu’avec une pute, ya pas l’aspect le plus important : la retenue. Avec une stripeuse, que tu bandes ou non, elle s’en fout, et toi aussi. Comprends-moi bien: sans les baisers et la pénétration, la relation homme-femme s’en tient à son plus pur état de désir. Aucun complexe à développer. Si tu veux la blonde platine en jupette, tu paies, et t’as du bon temps en te laissant aller, avec un minimum de retenue. Oui, mais ya celles qu’on n’a pas choisies et qui viennent à nous, comme la travesti de 50 ans. Un mot de travers et je me fais mettre dehors. Retiens-toi de parler, dans ce cas-là. Souviens-toi que les premières en piste sont des requins. Tu résistes et t’attends la perle rare. Oui, mais s’il n’y en a pas, je vais attendre combien de… Oui, mais, oui mais, oui mais, c’est tout ce que tu trouve à dire? Reprends-toi, Jo! Arrête de faire semblant et avoue que t’aimes le contact avec une fille sur tes cuisses, caresser sa jupe à carreaux qu’elle défait lentement, laisser ses seins, petits mais fermes, glissant sur tes joues, son odeur de fruit sucré qui colle à ta chemise pendant des heures. Kandi et son nombril plus profond que les fjords de Reykjavik, Jessica et sa crinière plus douce que le velours…

Michel continue son défilé mental, mais tout ce que je vois, c’est Justine avec ses lunettes à montures, ses jambes aussi courtes et frêles que ma charpente, sa veste en fourrure de lapin les jours de glace, son chandail de laine qui laisse sa clavicule respirer, les jours torrides, ses cheveux en petites pointes, doux comme un réveil subtile. Ses yeux tristes quand il pleut.

J’ai perdu, Mitch, tu peux arrêter. Non, mon gars. On gagne. On va se payer une soirée de bonheur. Pas de drague qui ne rapporte rien. Que du bon temps, la face collée aux portes du paradis. Oui, mais pour ça, faudrait d’abord se brancher sur la place. Je te l’ai dit: your call. Oui, mais l’un ou l’autre, on n’y voit jamais les mêmes… Pile ou face, alors? Ouais ok, pile ou face. Si c’est la reine, on reste à placoter comme des matantes, et si c’est l’orignal, on accepte d’être ce qu’on est : des mâles. T’es de mauvaise foi, Mitch.

La pièce tourne, ma tête aussi. L’image de Justine se transforme en vieille peau. Je repense à mon père et sa grosse femme, mon frère et la sienne. Des trop bons gars qui sacrifient leur vie sexuelle pour le bien être d’une baleine sans amour, regrettant de ne pas avoir dans leurs bras une pin-up. J’ai encore le choix de mettre des culottes, d’avouer que je suis un salaud uniquement attiré par les jeunes demoiselles pesant moins que cent kilos. Ou devenir une bonne personne, faire fi du physique, et ne m’intéresser qu’à l’intellect… Basta. C’est pas une pièce qui va décider pour moi.

Jo! Pourquoi tu l’as attrapée? Tu veux plus sortir? Euh, Jo, t’es correct? On dirait que t’as encore mangé un citron: t’as la face comme… Non, ça va. Let’s go, on va prendre les meilleurs sièges.

Ce n’est pas une pièce qui va définir ma nature. Je suis un pervers. C’est mon choix, et je n’ai qu’à assumer, pour une fois. C’est comment, d’être normal?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire