Troisième et dernière partie du triptyque écrit en avril dernier
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Je déteste avoir à fuir dans de telles situations. Avec la cigarette au bec, j’ai la jauge de culpabilité qui monte dans le tapis. À ma gauche, une femme passe avec sa petite fille. Le moindre sourire sur mon visage, à la vue de la petite écharpe rouge baiser de l’enfant, me ramène à ma nature de pervers. Les deux yeux pochés, laitue bacon, l’odeur de bière pas chère qui ne partira pas avant une bonne douche, et l’armée de poils de Fellini, longs, blancs, et frisés sur mon beau complet. J’ai la gueule d’un tueur. Dieu est un fumeur de Havane, et moi, et moi, et moi… Tu n’es qu’un fumier.
Je suis parti sans faire d’erreur, sur la note que j’ai laissée à mon partner. J’ai fuit sans trop de bruit, la tête encore dans les nuages. Sur la rue Saint-André, les fantômes que je croise prennent peu à peu leur couleur. Les femmes et leurs poussettes, le malaise me prend. J’ai encore l’odeur de Summers collée aux joues; certaines fleurs ne veulent simplement pas se faire oublier. Ses rallonges de sable d’ange, son corset de dentelle blanche et ses yeux sombres, son cou respirant la meringue fraîchement coupée, la bouteille de shampoing aux fruits stroboscopiques et la chaleur d’une nuit d’été. Summers portait bien son nom.
Il ne suffit qu’un flash de ses pommes d’Ève pour me pincer l’intérieur de la bouche, l’amertume qui passe à l’attaque. Sa fleur hante mon estomac qui ne lui laisse que des baisers poison. Je passe en revue chaque tissu qui expire le souffle de son corps.
Un couple dans la trentaine se rend au boulot en petite voiture, un vieillard cherche des mégots dans les bancs de neige, et mon énorme pif de juif qui rumine toutes sortes d’idées. Marche, cours, prends le métro. Toujours la tête droit devant. Il ne faut pas que je me mette à penser : Qu’est-ce que la communauté va penser? Suis-je une ordure? Je peux mettre ça sur le dos de la société?
Sur une feuille de mon calepin se dessinent des gens fixant le plancher, préférant rester chez eux plutôt que de travailler, à perdre trente ans de leur vie à se demander ce qu’ils mangeront pour souper. Eux aussi ont le soleil citron au dessus de la tête.
Je reviens à la surface de la terre, et deux enfants tracent des huit sur la neige fraîche du terminus avec leur bicyclette. L’image colle à ma rétine durant le trajet. Les maisons identiques, les restaurants, les itinérants, les hôtels chics, l’école primaire de mon enfance. Une grande cour, deux parcs multicolores, un petit train, des tubes, des grilles rouillées, des passages caillouteux, de la neige mouillée dans le foulard rouge bisou d’un petit garçon, les doigts gelés, qui s’en fout et lance une boule de neige à sa sœur.
Ma pauvre sœur. Elle est si jeune, commence à peine à comprendre les théorèmes, et ne doit jamais connaître les horreurs qu’il m’arrive de penser. Joséphine, ma dernière porte vers l’innocence. Comment résister à une enfant aux yeux caramel qui demande : « T’étais où, hier soir? Y’avait un monstre à la fenêtre, et t’étais pas là! » Éviter les mensonges avec une demie vérité : « J’étais avec un ami, à Montréal. » Surtout ne pas lui dire qu’elle vit en permanence avec un monstre, un crève-cœur sans aucun respect, ni pour lui-même, ni pour les autres. Un junkie se shootant aux artifices corporels, préférant se donner une dernière chance avec une phrase : « Il était humain, avant de devenir une abomination. »
Juste une dernière fois, pose-toi la question : comment on devient un monstre?
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