Les gouttes frottent contre les fenêtres de la voiture, et pourtant le soleil se faufile, orange, entre les quelques nuages dorés.
J'ai quitté un groupe qui s'apprêtait à finir leur trip de bouffe dans un Subways crade de Saint-François pour me rendre à la fête d'un ami, grâce au déplacement éclair de mon père. Il ne sera pas toujours là, il faut que je me mette ça en tête... Le temps de se rendre au restaurant, la nausée me prend. Pourquoi je me tiens encore avec cette bande d'ados attardés, pourquoi j'ai si mal au ventre, est-ce que là où je vais, ça va vraiment être mieux? On m'accueillerait différemment, mais au fond ça reste le même groupe: celui qui n'a pas besoin de moi. Je suis un petit plus, rien qui ne changerait complètement la donne.
Laisse-faire... Je feel vraiment pas. On rentre à la maison, ok?
La pluie s'estompe, laissant la scène au ciel or, les plages magiques suspendues au plafond sur lesquelles j'ai tant voulu passer mes étés. Dès que ma requête a été prononcée, un sentiment de bien être a pris sa place en moi. Comme si le simple fait de ne pas me mélanger aux autres membres de la société me sécurisait. "C'est ma famille, et c'est tout ce dont j'ai besoin". Tout le long du trajet, seul Debussy occupe l'espace sonore. Sécurisant.
17h11. La tête baissée, je sors du véhicule. "Fais pas de bruit en rentrant; ta sœur dort". Hoche la tête, ouvre la porte, dépose les clés, retire les souliers tachés d'herbes. Maman est pas là? "Est sortie avec ses amies, dans le vieux Sainte-Rose". Oh.
Et voilà. Il pleuvait des grains de riz, des petits pois orange, et nous nageons présentement dans un champ de silence bien ensemencé. 17h53, "Réveille ta soeur. On va aller au Harveys". Entre temps, trois quarts d'heure devant mon bureau, parfois couché sur l'oreille, parfois sur le menton, à réfléchir à ceux que j'ai laissés, avec ou sans avertissement. Le malaise, le mensonge, le dégoût, et leurs collègues, se traînant les pieds dans mon espace mental, à regarder l'horizon tourner au rouge Geogaddi. À attendre que la solitude passe et vagabonde ailleurs, pendant que Claude laisse ses partitions résonner dans ma mémoire à court terme.
C'est une autre journée qui ne veut pas finir de finir.
Les trois au resto, on croirait que la Lune nous a tous hypnotisés au même moment, sans encore pointer le bout de son nez. Trois zombies sous les flares du soleil mourant. Partout à des centaines de kilomètres à la ronde, ça festoie, ça crie et ça chante. Mais la fête ne nous concerne pas. Mon père fixe le vide, en s'imaginant ma mère faire le party avec ses copines; Phoebe, les yeux lourds, encore entre le sommeil et la dure réalité qu'offre le réveil; et moi, les doigts goudronnés, le cœur avec mon ex et la tête avec mon meilleur chum, mais préférant le confort du logis parental. C'est à se demander: y a-t-il vraiment eu un moment où l'un de nous a parlé pour commander notre repas? Aucun son n'entre ni ne sort, dans notre sphère voilée par un deuil qui n'existe pas.
Après un somme improvisé, les chiffres du cadran défilent, mais ne font aucun sens sous mon œil de perdrix assommée. Et pourtant, je sais qu'il est pratiquement 21h. Mon dos me tue, penché au dessus de mes genoux frêles, la tête au creux de mes paumes. Dehors, c'est couleur Mr Freeze au raisin. Pas ma saveur préférée... Tout le deuxième étage est coulée dans la noirceur, sauf la chambre face à la mienne. Je vais la déranger, ou je laisse faire?
-Toc toc. T'es encore debout, toi?
-Oui. Elle finit sa retouche. Je faisais des dessins. Tu veux voir?
-Bien sûr. Tu sais qu'yé rendu quand même tard. Faudrait pas trop tarder...
-L'école est finie...
-Oui je sais, mais si tu veux continuer à grandir, faut dormir.
Elle fait une retouche sur un autre dessin. Son bureau est tapissé de feuilles en tous genres: calculs, compositions, peintures, collages.
-J'ai pas sommeil.
-Hum... Moi non plus.
-Toi, t'as dormi.
C'est un ange penchée sur son travail, concentrée à donner tout son sens au mot perfection.
-Oui, mais moi, j'ai eu une grosse journée. Toi, t'as dormi pendant la journée.
-Je sais.
-Hum.. bisou. Tu sais toujours tout.
-Non, c'est pas vrai.
-D'accord... Tu veux me raconter ta journée d'hier? Comment c'était la kermesse?
Ses yeux s'illuminent, comme deux petites lucioles vertes qui s'ouvrent au monde pour la première fois.
-Attends! J'ai pas fini mon dessin! ... ... OK! Qu'est-ce que tu veux savoir?
-Je sais pas... Qui était là, c'était quoi les activités,...
-Ben, au début, je savais pas si je voulais y aller! Mais làààà... Christelle m'a dit, ben, faut pas que j'pense trop à Martin, pis, ben, juste y aller. Pour le fun, làà.
Près d'une heure file en flèche. Puis, le temps s'est mis à ralentir, pas à pas... jusqu'au léger, quoique profond, sommeil. Sa petit tête noisette bien reposée sur son oreiller turquoise, Mr Freeze bleu. Ma saveur préférée. Dors bien, ma p'tite puce. Je t'adore.
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JD, vendredi 20 mai 2011, 3h50 am (donc samedi 21...)
Je n’ai pas connu la mer sous Anticosti
Il y a 5 ans
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