dimanche 22 mai 2011

22 mai - Chasser le naturel

Texte réflexif, suite au triptyque "Un Vendredi Seins", écrit en avril dernier, dans le cours de Laure Morali

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Pourquoi certains écrivent-ils, demandait Kraus. Parce qu’ils n’ont pas assez de caractère pour ne pas écrire. L’acte doit d’abord se réfléchir, chercher, creuser, « plonger la plume au plus profond » comme l’a dit Felwin Sarr. Il faut repérer chaque parcelle qui se répète dans toutes nos créations pour en trouver le dénominateur commun et le définir le plus justement possible.

J’ai fouillé ici et là à travers mes textes écrits durant la dernière année pour y dénicher une onde récurrente, mais tout ce que j’y ai trouvé ne se définit qu’en un mot : peur. De ne pas amuser ou divertir, de ne pas être vrai, de ne pas toucher. Quelques rimes pour afficher une tendance poétique ne suffisent pas. Si le travail ne consiste qu’à rendre le texte plus joli, le texte n’évoque pas grand-chose sans la justesse des mots. En évitant mes thèmes fétiches, je tentais de fuir ma mauvaise foi et ma lâcheté : fini, les gars se retenant de pleurer sous une pluie fine, il faut arrêter de se lamenter sur son sort.

Sans travestir ma pensée, je me suis lancé dans un sujet qui me pue au nez, mais qu’il me tardait d’aborder : le goût de la chair. Tout comme le personnage principal, mon sens de la culpabilité m’empêche d’avouer certaines envies en dehors du niveau purement platonique. Et quel meilleur moyen de se libérer de ses mots que de s’analyser d’abord en tant que monstre? Il n’y a aucune justification, que des condamnations auto-infligées.

Un autre thème m’étant cher reste les liens d’amitié entre deux personnes. La relation qu’entretiennent Michel et Johnny s’élève au dessus des paroles et des non-dits, sans jamais risquer une seule fois une rupture quelconque. Il n’y a pas cette épée de Damoclès comme dans un couple, où chaque parti tente de plaire à l’autre dans l’espoir de ne pas finir seul. Le dialogue aussi est d’autant plus facile avec la complicité d’une personne du même sexe et partageant une opinion similaire. Je voulais montrer la possibilité d’un désir pour le corps, avec une touche de dérision nécessaire. La vision pure et chaste de la sexualité, mainte fois reprise dans la plupart de mes textes, devait disparaître et laisser place à une réalité plus contemporaine.

Concernant la forme, j’ai décidé d’épurer le mieux possible la complexité d’un dialogue sans être interrompu par les classiques tirets. Les voix peuvent se différencier si elles sont définies avec justesse, m’obligeant ainsi à travailler sur deux niveaux.

Un langage naturel ne se colore pas que par l’usage de mots banals, tout comme l’écriture ne tente pas d’imiter le réel, mais bien de créer l’illusion. Le narrateur, naïf et atteint de déficit d’attention, ne peut pas recréer les mots; il les attrape au vol comme ils arrivent, et les considère tous vrais. Dans les moments de solitude, les pensées se dirigent dans tous les sens. Un rien inspire mille images, associant chacune d’entre elles à un souvenir lointain ou rapproché.

L’écriture, c’est un peu ça. On se laisse distraire, un détail jailli du cadre, on observe, puis on décrit. Parfois, les éléments qui nous dépassent sont ceux qui nous décrivent le mieux, et c’est dans cette position que j’ai laissé la parole à Michel au cours du premier texte. Les mots qu’il utilise reflètent ma vision du sujet tout en restant légèrement écarté, comme un miroir déformant. À la session d’automne, j’ai tenté de me concentrer sur l’énonciation télescopée, et j’ai continué à travailler sur cette méthode de différentes manières, sans arriver clairement au but, alors qu’au fond ma démarche se situait davantage au niveau de la structure.

Intégrer la poésie à la prose ne doit pas être vu comme un défi, mais plutôt comme une vision essentielle de la littérature. Elle ajoute une sensibilité à l’écriture qui l’élève au-delà du simple commentaire critique et permet une ambigüité chez le lecteur, lui laissant le choix d’interpréter le texte à sa manière. Dans mon triptyque, cette ambigüité s’est illustrée dans le rapprochement de façon assez légère entre les agrumes et le corps féminin, ce dernier étant décrit le moins possible. Sans prostituer son écriture, il reste possible de ne pas tomber dans la vulgarité.

L’ensemble de ces trois textes aurait facilement pu tomber dans cette facilité, d’ailleurs. Ici, il faut prouver une bonne volonté et ne pas se laisser emporter. J’ai remarqué une grande difficulté chez moi à exprimer une émotion claire dans mes textes, et c’est pourquoi la plupart des narrateurs n’en montrent aucune, ou rarement. L’esprit d’analyse concentre mieux le noyau de l’histoire. Pourquoi une personne dirait-elle ouvertement qu’elle est triste, alors que de montrer une main tremblante et des paroles embrouillées est bien plus révélateur? Bien sûr, avec l’aide de la poésie, les champs lexicaux s’étendent à perte de vue. Ceci dit, je continue de croire qu’un simple choix de mots peut aller aussi loin sans la poésie, s’il est juste.

Peut-être qu’il ne s’agit pas d’être bien écouté. Seulement d’être ressenti. Un mot sale et bête, pour décrire un moment qui l’est tout autant. Une banalité décrite par un mot banal. Tourner en dérision le langage.

Faut-il voir la littérature comme un appel à l’autre, ou comme le partage d’une impression? Écrire ce que l’autre veut ou voudrait lire, ou rester soit même? Je crois qu’il s’agit d’être entre les deux : conscient de sa plume, de son vécu, l’auteur se doit d’être à l’écoute de son lecteur, lui aussi conscient du devoir de l’auteur. Pendant plus de deux ans, je me suis penché sur mon écriture : entre réalité et fiction, amertume et simple rigolade, je réalise que bien peu de mes textes plongent jusqu’au fond des mots, même si je continue de creuser sans relâche.

L’écriture est un exutoire pour le réel, et non pour la frivolité du mouvement. Il me faut me battre contre les mots épuisés, vivre des expressions qu’il reste à créer. Chercher la nature là où elle ne se trouve pas. Changer des monstres en humains, et vice versa.

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