Mi-décembre, petit blizzard. On n'y voit rien à des kilomètres. La marche est plutôt douce, malgré les mains qui toussent. Une lune noire se posera nerveusement au dessus de nos têtes froides. Depuis des semaines que j'attends sa venue. Je veux la voir assombrir la planète Montréal. En plein milieu du parc, avec mon télescope, j'attends que vienne le moment. À 20h, les gens passent, traînent leurs chiens et enfants. Ils me regardent méchamment, les canines sorties. Un oiseau passe et se fracasse le bec contre un panneau interdit-de-stationner-de-9h-à-21h-du-lundi-au-samedi-à-l'exception-des-remorqueuses-etc. Je retourne l'œil dans la visière du télescope, mais ses petits cui-cui me déconcentrent. Mon ombre s'étend jusqu'à son petit corps qui crie, et j'aimerais qu'elle l'écrase, qu'on en finisse.
21h, mes doigts figent sur l'appareil, la glace qui pousse sous mes ongles. L'orage brumeux s'est calmé, mais la lune est toujours blanche, aucune signe de disparition. Dans ma tête, une tasse, remplie de café chaud, bien sucré. Elle hante mon corps, mon ventre. Alors je rentre. La longue vue sous mon bras, je cherche refuge dans les parages. Le centre commercial à côté a déjà fermé ses portes. Un clochard passe par là. "Pardon, où se trouverait un..." Il me fixe, la barbe sale, les yeux cernés et globuleux, et un long filet de morve verte sous le nez. Haut-le-cœur. Je ne finis même pas ma question et tente de fuir, mais il me retient par le bras. "S'te plait, donne-moé du change!" J'essaie de me déprendre... "Juste une p'tite pièce! Donne-moé du change! EILLE!" Je le frappe avec la longue vue; c'est tout ce que j'ai pour me défendre... Sur son manteau, elle s'étouffe, mais sur son visage, elle l'engouffre dans un profond sommeil. J'essuie le sang sur l'appareil blanc, et poursuit mon chemin.
21h30, mon menton figé. Un néon annonce "24h", au dessus d'une tasse dessinée.
...Je suis déjà venu ici...
Un homme s'installe au fond du resto, près d'une grosse femme qui semble endormie. Mes yeux sont embués et j'hésite à prendre place dans un lieu si désertique. La serveuse, jeune et belle et plantureuse, m'installe sur un siège de cuir non loin du comptoir. Pop fait sa bulle de gomme. Un gloss quasi naturel qui fait gonfler mon cœur. Je pose le télescope sur le banc, contre la cloison, en passant ma commande, mais elle est déjà partie. Me sentant presque seul, j'essaie de faire entendre raison à mon corps en lui disant de ne pas mourir. Je parle seul... je me chuchote à l'oreille. Mon regard se pose à nouveau sur cet homme, au fond; le cou long et filiforme, les cheveux qui semblent prêts à tomber d'un instant à l'autre, les mains crispées à l'intérieur de son impers gris, et les yeux perdus. Je me retourne pour m'observer dans la cloison en miroir, et ne me sens pas tellement différent. Il observe la serveuse, derrière le comptoir à faire éclater sa bulle, en attendant la prochaine commande. Ou serait-ce plutôt la prochaine romance. Je le regarde tandis qu'il se lève pour s'avancer à la hauteur du comptoir, et je me mets à penser: "Je la verrais bien dans un film, la p'tite garce..." Le type s'installe devant elle et, la voix chevrotante, lui demande un café. J'ajoute: "Même chose pour moi. ...Siou plait. ...merci." Les deux me fixent du regards. Les canines sorties. J'ai déjà été ici.
Dix minutes passent, pendant lesquelles la serveuse s'est allégrement ennuyée. Elle a servi l'homme au comptoir, mais semble m'avoir oublié, alors je lève timidement la main. "S'il... s'il-vous-plaît?" Le menton creusant sa paume, elle me jette un regard qui crie "QUOI?" avant de m'informer de la politique: "Si tu veux être servi, tu viens au comptoir. Moi, j'te serre pas à 'table." J'ai les yeux qui piquent et le cœur qui me gratte. J'ai envie de foutre le camp, revenir à mon petit banc au milieu du parc Joyce. J'ai mauvais sentiment, mais je me lève gentiment en faisant ma commande. Elle continue de lire sa revue. "Madame? Je peux avoir un café, moi aussi?" Oh oh, je pense que je viens de la rendre pissed off...
22h, je sors en courant en essayant d'éviter les tasses que la serveuses me lance par la tête. Merde, je suis parti si vite que j'ai oublié mon télescope à l'intérieur... Je réussi à me cacher derrière un grand sapin bien touffu. Je ne la vois plus, mais je l'entends encore gueuler: "CHU PAS UNE MADAME, AKEY?! FUCK YOU CALISSE!" J'attends qu'elle se calme, puis fini par m'approcher. La grosse dame sort du resto avec un tube blanc sous le bras... Ah la vache! Elle m'a piqué mon scope! Je cours vers elle et tente de lui arracher des mains, mais la salope, elle le tient fort entre ses deux gros seins graisseux! Une glace noire sous le pied, je glisse et me fracasse le crâne contre le sol dur. Elle en profite pour appeler la serveuse et, à deux, elles me tapent dessus avec tout leur arsenal: grosses paluches, tasses, assiettes, totons moelleux, et cap d'acier. J'ai peine à me relever, et les crachats jaunes fluorescents rendent mes mains glissantes sur les rampes. Je vois tout embué à nouveau, mais je sens une présence qui se rapproche.
Le clochard, je le reconnais à son habit puant vert et couvert de rouge tout frais. Une crow bar me défigure à nouveau. Je ne sais plus dans quel sens se trouve la terre. J'ai froid; on m'a piqué mon manteau et mon chapeau.
Je retourne chez moi, en passant par le Joyce park. Sur l'aller, je croise à nouveaux les chiens baveux. Mon sang attise leur faim et ils grignotent un peu de mon avant bras. Rendu à ce point, je ne sens plus rien. Lorsqu'ils en ont fini, je lève les yeux au ciel. Le blizzard n'est plus. La lune est noire de jais. Avoir su que l'éclipse n'était pas si belle... Bordel.
21h, mes doigts figent sur l'appareil, la glace qui pousse sous mes ongles. L'orage brumeux s'est calmé, mais la lune est toujours blanche, aucune signe de disparition. Dans ma tête, une tasse, remplie de café chaud, bien sucré. Elle hante mon corps, mon ventre. Alors je rentre. La longue vue sous mon bras, je cherche refuge dans les parages. Le centre commercial à côté a déjà fermé ses portes. Un clochard passe par là. "Pardon, où se trouverait un..." Il me fixe, la barbe sale, les yeux cernés et globuleux, et un long filet de morve verte sous le nez. Haut-le-cœur. Je ne finis même pas ma question et tente de fuir, mais il me retient par le bras. "S'te plait, donne-moé du change!" J'essaie de me déprendre... "Juste une p'tite pièce! Donne-moé du change! EILLE!" Je le frappe avec la longue vue; c'est tout ce que j'ai pour me défendre... Sur son manteau, elle s'étouffe, mais sur son visage, elle l'engouffre dans un profond sommeil. J'essuie le sang sur l'appareil blanc, et poursuit mon chemin.
21h30, mon menton figé. Un néon annonce "24h", au dessus d'une tasse dessinée.
...Je suis déjà venu ici...
Un homme s'installe au fond du resto, près d'une grosse femme qui semble endormie. Mes yeux sont embués et j'hésite à prendre place dans un lieu si désertique. La serveuse, jeune et belle et plantureuse, m'installe sur un siège de cuir non loin du comptoir. Pop fait sa bulle de gomme. Un gloss quasi naturel qui fait gonfler mon cœur. Je pose le télescope sur le banc, contre la cloison, en passant ma commande, mais elle est déjà partie. Me sentant presque seul, j'essaie de faire entendre raison à mon corps en lui disant de ne pas mourir. Je parle seul... je me chuchote à l'oreille. Mon regard se pose à nouveau sur cet homme, au fond; le cou long et filiforme, les cheveux qui semblent prêts à tomber d'un instant à l'autre, les mains crispées à l'intérieur de son impers gris, et les yeux perdus. Je me retourne pour m'observer dans la cloison en miroir, et ne me sens pas tellement différent. Il observe la serveuse, derrière le comptoir à faire éclater sa bulle, en attendant la prochaine commande. Ou serait-ce plutôt la prochaine romance. Je le regarde tandis qu'il se lève pour s'avancer à la hauteur du comptoir, et je me mets à penser: "Je la verrais bien dans un film, la p'tite garce..." Le type s'installe devant elle et, la voix chevrotante, lui demande un café. J'ajoute: "Même chose pour moi. ...Siou plait. ...merci." Les deux me fixent du regards. Les canines sorties. J'ai déjà été ici.
Dix minutes passent, pendant lesquelles la serveuse s'est allégrement ennuyée. Elle a servi l'homme au comptoir, mais semble m'avoir oublié, alors je lève timidement la main. "S'il... s'il-vous-plaît?" Le menton creusant sa paume, elle me jette un regard qui crie "QUOI?" avant de m'informer de la politique: "Si tu veux être servi, tu viens au comptoir. Moi, j'te serre pas à 'table." J'ai les yeux qui piquent et le cœur qui me gratte. J'ai envie de foutre le camp, revenir à mon petit banc au milieu du parc Joyce. J'ai mauvais sentiment, mais je me lève gentiment en faisant ma commande. Elle continue de lire sa revue. "Madame? Je peux avoir un café, moi aussi?" Oh oh, je pense que je viens de la rendre pissed off...
22h, je sors en courant en essayant d'éviter les tasses que la serveuses me lance par la tête. Merde, je suis parti si vite que j'ai oublié mon télescope à l'intérieur... Je réussi à me cacher derrière un grand sapin bien touffu. Je ne la vois plus, mais je l'entends encore gueuler: "CHU PAS UNE MADAME, AKEY?! FUCK YOU CALISSE!" J'attends qu'elle se calme, puis fini par m'approcher. La grosse dame sort du resto avec un tube blanc sous le bras... Ah la vache! Elle m'a piqué mon scope! Je cours vers elle et tente de lui arracher des mains, mais la salope, elle le tient fort entre ses deux gros seins graisseux! Une glace noire sous le pied, je glisse et me fracasse le crâne contre le sol dur. Elle en profite pour appeler la serveuse et, à deux, elles me tapent dessus avec tout leur arsenal: grosses paluches, tasses, assiettes, totons moelleux, et cap d'acier. J'ai peine à me relever, et les crachats jaunes fluorescents rendent mes mains glissantes sur les rampes. Je vois tout embué à nouveau, mais je sens une présence qui se rapproche.
Le clochard, je le reconnais à son habit puant vert et couvert de rouge tout frais. Une crow bar me défigure à nouveau. Je ne sais plus dans quel sens se trouve la terre. J'ai froid; on m'a piqué mon manteau et mon chapeau.
Je retourne chez moi, en passant par le Joyce park. Sur l'aller, je croise à nouveaux les chiens baveux. Mon sang attise leur faim et ils grignotent un peu de mon avant bras. Rendu à ce point, je ne sens plus rien. Lorsqu'ils en ont fini, je lève les yeux au ciel. Le blizzard n'est plus. La lune est noire de jais. Avoir su que l'éclipse n'était pas si belle... Bordel.
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JD
pour toi, Mel :)
:)
RépondreSupprimerJ'espere quand meme que je ne perderais pas la magie. Sinon c'est aussi bien d'etre nuageux ou je suis aussi bien de mendormir!
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