mercredi 9 mars 2011

9 mars - Faudrait peut-être te déniaiser

Exercice 4 pour le cours d'Atelier 2: Texte sur une photographie
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I
T'as les cheveux longs et coton que l'été te fait suer sous ses lourds édredons comme une plume qui pique. Ton petit sourire cache des intentions saines, mais des conséquences sans fond. Que ta bouche soit ouverte ou non, ce sont les silences qui plombent ta langue, citron bleu ciel et acide, dans ces salles obscures qui t'ont souvent fasciné.
Derrière toi, l'Oncle Sam te pointe avec son slogan qui trotte sans cesse dans ta vie: I want you, comme un bébé want sa gâterie avant même de se demander s'il la mérite. Alors tu hésite pendant des jours et des mois, entre la patience et la peur de voir une porte se fermer pour de bon.
Dans les lueurs étranges qui te balancent, ta peau se voile d'un nuage grisant, mélangeant ta douce chaleur au froid qui happe le corridor où tu pose. Dans tes bras ne se trouve pas vraiment ce que tu cherche, mais tu manque d'expérience et cette personne que tu porte à bout de bras finit par être tout ce que tu connaitra.
À quoi pensais-tu, à ce moment précis? Que le bonheur, c'était d'être avec des gens que tu chéris de tout ton cœur? Ou était-ce simplement pour faire la pose? Peut-être que les deux peuvent s'agencer, comme une groupie qui se pomponne pour être aussi big shot que la star avec qui tu vas partager le cadre...

Transpose l'image, modifie le sourire, l'élargir, le ramener vers le bas, l'enlever, pour ne garder finalement que tes yeux de fortune, île qui n'attend que d'accueillir son premier naufragé, voir même une cruelle guerrière.
Cruel enfant, faudrait peut-être te déniaiser, ouvrir les fenêtres, laisser l'air pousser les rideaux sous lesquels sont cachées deux petites perles, tes yeux qui font peut-être des envieux.

II
Quel étrange moment sur la plage que de te voir, plume à la main, sous des nuages menaçant, le peignoir immaculé et les lunettes futées. Peut-être en train de tracer les pieds de ton personnage fétiche qu'on fixe et dénigre. La glace pousse ses racines jusqu'à tes doigts.
blabla, à finir dans une autre vie.

III (texte choisi)

Être un Derome, c’est vivre sans accent, ou presque. Bien sûr, ils ont l’air chic avec leurs habits classiques, le veston et la cravate pour les trois garçons, la robe pour les deux filles. Certes, ils ont presque tous étudié au collège Sainte-Marie, quelques-uns se rendant à Oxford, Cambridge, Saint-Trinity. Le seul accent qu’ils se permettent, c’est celui de l’anglais britannique, mais leur seule voix est celle de Montréal.

Les études seules ne forment pas les humains. En observant cette photo où mon grand-père apparaît, entouré de ses enfants et de sa femme, j’entends à nouveau mon père me raconter un court moment de sa vie. Après un repas, Laurent avait assis Janette sur ses genoux pour l’embrasser devant tous et toutes, simplement pour lui montrer son affection. Avant même qu’il ne développe un cancer au cerveau, il savait éprouver des sentiments pour sa famille, comme l’homme simple et aimant qu’il semblait être.

Devant moi se tient un homme que je n’ai jamais connu et qui m’attendrit plus que bien des gens encore présents. Un plombier qui donnait tout pour que ses enfants aient l’éducation qu’il n’a probablement jamais reçue. Sans oublier mon paternel, le visage effacé du deuil qui l’attend sans prévenir. Cet enfant qui, pour la première fois, me ressemble physiquement, avec ses sourcils froncés, un air de rien. Ne manque que la cigarette au bec, à changer pour une pipe classique. Un autre lien me revient : la peur que mon père décède, lui aussi, à l’âge de 53 ans. S’inquiéter de la vie d’un parent, alors qu’on n’a que neuf ans. Voilà un bien triste constat.

D’un autre côté, une nouvelle relation s’est installée entre nous deux. Le jazz de Miles a commencé à glisser jusqu’à mes oreilles, dernier héritage de mon grand-père. « Il m’a offert ce disque au dernier Noël passé ensemble », avec un sourire qui raconte mille moments qu’il n’a probablement jamais mis en mots. Cette image du jeune homme de dix ans, peut-être onze, laisse présager de longues nuits, les yeux fixés sur le vinyle, brouillés par l’envie de partager sa musique avec son vieux.

Un long moment passe, je réécoute pour la centième fois Everytime we say goodbye, de Coltrane, et me revois danser avec ma copine dans son appartement, lors de notre première soirée. Comme si l’héritage, sans l’avoir forcé, continuait à faire son chemin, que ce soit à propos des goûts musicaux, des moments humains, ou tout simplement pour une question d’accent. Sans accent. Ou peut-être un tout petit, british. Pour les faire craquer, quand on cesse de fixer l’aiguille qui gronde sur le disque et qu’on décide de faire des bébés.

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