lundi 26 septembre 2011

26 sept - Écrire

Écrire. Éviter le regard des autres, tout en restant voyeur.
Je ne comprends pas ceux qui écrivent en collectif. N'ont-ils pas ce besoin de recueillement? Le partage, oui. Mais après, et non pendant. Comment une plume devient-elle soi si on la prête au milieu d'un mot intime? Non loin du sacré, l'écriture se doit d'être personnelle, à la limite cachée du reste du monde, une cicatrice qu'on n'ose montrer qu'à ceux en qui l'on a entière confiance.

Je bois pour écrire, tout en déconfiture... Je relis, la fierté monte, puis s'apaise avec le sommeil et l'assurance que personne ne lit de telles idioties. Deux jours plus tard, on me remet le nez dedans "Regarde ta cicatrice! Vois comme elle est sincère", et je bois à nouveau, entre l'euphorie nombriliste et la honte (forme de modestie extrême), devant une blessure que je n'osais pas pointer moi-même. J'écris pour moi, pour vider ma mémoire, créer du papier, pour mieux les renfermer dans des tiroirs. Sortir le crachat de ma tête, et mettre la clé, physiquement et mentalement.

Je crois que c'est Helene Cixous qui écrivait: "Écrire pour ne pas oublier". Les deux sont possibles. Il y a de ces phrases en moi qui n'ont étrangement pas cette censure qu'offrent les rêves; celles qui font mal parce qu'elles disent vrai alors qu'on tente à tout prix de le fuir, le vrai. Fuir. Fuir. Fuir. Loin. Loin. Loin. Toujours ces deux mots. Éviter le regard qui me rendrait soit égo-narcissique et imbu, soit l’extrême opposé.

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Paradoxe. Lorsque je sens le besoin d'être dans un lieu public, anonyme, pour apprécier ma solitude. Et lorsque la maison se vide, voilà qu'elle se remplie d'une, puis de plusieurs familles et entourage, leurs têtes invisibles au dessus de mon épaule qui frissonne. L'angoisse de ne pas vouloir appartenir à un groupe qui voudrait de moi comme membre, paraphrasait Woody Allen, dans Annie Hall. J'avais écrit, pour le jour de mon anniversaire, que je buvais pour être sobre, que je criais pour taire mes mots (maux). Et maintenant, ces mots, je les entends dans la chanson "Le manoir à l'envers" de Leloup. *Merde, quel con. C'est "Le Castel Impossible"...*

Je ne comprends les gens heureux de vivre dans l'écriture. Autant elle exorcise, autant elle détruit les fondations du monde autour. Elle permet trop d'univers pertinents, trop de réalités aguichantes. Comment supporter le trop plein de réel qui replonge en soi, en sortant la tête de sa plume? Existent-ils vraiment des personnes assez saines pour ne pas souffrir de leurs mots? Elles n'écrivent peut-être pas, alors. Elles jacassent, frivolent, caracolent. S'empêchent de toucher à la membrane douloureuse de la création qui, comme une côte flottante, accroche les poumons, colle au cœur à en pleurer, soir après soir.

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Trop près de la réalité. Un ami avec qui la pinte de rousse coule toujours à flots, il me raconte une nouvelle qu'il écrit pour moi. Le type regarde une fille dans le métro. La belle lui rend ses yeux, il se déniaise, elle lui ouvre la porte grande ouverte, s'embrasse jusqu'au lit, pour comprendre qu'ils sont seuls, se masturbant chacun de leur côté en pensant à l'autre. Nul besoin de dire que j'ai toujours été friand de happy endings, et que j'en eus les larmes aux yeux d'une telle réalité possible. Le problème avec Raphaël, c'est son désir de passer un message. Le mien est de pleurer sur mon sort.

-Buckle up.
-What? That's it? You're an international reknown psychiatrist, and all you got for me is "Buckle up"??
-... Well... Buckle up, sissy pants.
- ...nice. Thanks mom.

Je joue sur la beauté du moment. D'intervenir serait la détourner , la faire fuir (encore). Je préfère m'en tenir aux fantaisies, aux discussions infinies qui rarement finissent en engueulade, ou déconnade. Ma femme bourgogne, elle n'a besoin de rien d'autre pour être superbe, sous son étole. C'est pourquoi le narrateur s'est délibérément retiré de son champ d'attraction, qu'elle lui ouvrait volontiers. Parfois, le contact a tellement été source de déceptions, je me contente de supposer la perfection imaginée, plutôt que d'oser. Oser serait risquer le moins que parfait, le subjonctif en permanence.

J'ai réinventé la fille de mes rêves, pour lui donner des attributs qu'elle n'aurait jamais pu avoir si je l'avait empoisonnée de ma présence. J'écoute Blood Bank. La neige sur la voiture où sont pris un homme une femme. Dans mon univers, c'est elle, dans la voiture. Moi et elle, le soir où j'ai mis une croix sur son cœur, le soir où jouait à la radio de sa voiture "Endless love". Des moments comme ça, ça ne s'invente pas.

Bon Iver. C'est une autre solitude. Celle-ci très récente. Mon ex avait pris congé pour trois semaines, dont une qu'elle utiliserait pour aller se réfugier dans le nord avec sa grand-mère et sa(ma) petite sœur. J'ai accepté de m'occuper de son appartement, de nourrir son chat. La veille de ma première ronde, j'avais recommencé les "Short Stories" de Salinger. À peine une page, pas davantage, juste pour me remettre dans le bain. Le premier jour, le livre collé aux mains, j'ai lu pendant le trajet d'aller. Par fragments seulement. ...Trop ému devant les non dits d'Uncle Wiggly, je ne pouvais me permettre de pleurer devant tous ces gens dans l'autobus. Regarder dehors, en haut, pas trop cligner des yeux. Dans l'appartement, avec une caisse de Boris mojito, je me suis installé dans la chaise pouf, une bouteille et boite de mouchoir à mes pieds, cigarettes et livre dans chaque main. Et j'ai lu. Toute la détresse, à travers la mélancolie de Re:stacks, parce que ça me rappelait Montmagny dans le temps des fêtes, et que c'est triste, Montmagny sous la neige, le soir. Seul, sur ce balcon qui n'est pas mien Tous ces non dits avaient été lus. J'ai repassé les lignes fortes. Me forcer à sortir le lacrimosa.

Alors j'ai bu jusqu'à ce que ça sorte. Parce qu'il le fallait. Parce que jamais je ne m'accorde le droit de ne pas pleurer; jamais je ne me permet de ne pas souffrir. J'ai passé trop de temps à dire que j'étais content d'être un imbécile heureux, derrière mon comptoir de Couche Tard. J'ai subi trop de revers amical pour apprécier un amour qui pourrait se révéler sincère.

Alors j'écris pour oublier d'oublier. Je bois pour être ivre de sobriété. Je vis le kaléidoscope brisé qui ne déforme plus rien. Mes mots s'entrelacent, et mes bras ne trouveront que moi dans mon lit.

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Lundi, 26 septembre, 21h
Jean Derome



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