Crever de chaleur, en revenant de la station Parc pour récupérer l'enregistreuse avant le concert du loup. Lundi après-midi, avec un parka de plumes d'oie, un kangourou noir lourd et un paquet de livres inutiles à transporter, from one station to the next, chantent les derniers assassins. Dans le wagon, face à moi encore debout, une jeune fille assise, grandes lunettes à monture fine, une petite ponytail de laissé aller, chemise blanche complètement boutonnée, assez serrée, longue jupe noire, petits talons violets; un bouquin ouvert sur ses genoux, un second, collé contre elle. Trop chaude, comme nerd slash bibliothécaire slash maybe even dominatrice. Mine de rien, je prétends changer de chanson sur le iTouch, le mets à la hauteur de mes yeux, clic pour capturer sa beauté sauvage de femme intellectuelle nymphomane. Elle relève aussitôt les yeux vers moi! Oh fuck me... J'avais oublié d'enlever le son du clic... Tous les autres me fixent aussi, oh putain, ohputain ohputaindemerdedefuckme. –Poker face– failed.
Ses yeux sont noisette, brun foncé, mais clairs. Perçant.
Elle retourne à son livre, passe une page, dépose par dessus son deuxième bouquin, note quelque chose rapidement, à peine un mot peut-être, avant de refermer les deux lourds tomes et les mettre dans son sac, entre ses deux chevilles frêles, la tête relevée sur le côté, ses pupilles me dilatent à nouveau... Sa main sur la bandoulière, attend assise la prochaine station, fixant la pointe de ses orteils comme une automate prête à attendre un ordre. « Station, Sauvé ».
Une fraction de seconde: ses yeux se posent sur moi, les portes s'ouvrent, elle se lève d'un bond, m'agrippe la main moite, me tire du wagon, sa jupe flottant jusqu'à mon torse. Toutes les globules rouges de mon corps grimpent au cerveau, rush intense de la pression sanguine. Je ne sens même plus mes pieds, je plane au dessus du sol, avec la tête pleine de « quossé j’ai fait là, quossé j’ai fait là, j’ai mal agi, j’ai mal agi, jaimalagijaimalagi ». Sa main tombe, elle se retourne, « C’est moi que t’as prise en photo? Pourquoi? Shut up, j’veux pas savoir. Viens. » Pas moyen de placer un mot, je la suis, montant les marches jusqu’au cimetière, continuant sur Sauvé, direction sud-ouest. « Dépêche-toi ». On passe devant un parc aussi vide que le silence entre elle et moi. Chaque tentative d’explication de ma part m’attire un « Shut up » sec et rapide. Alors je suis, me tais. Elle me fait passer sous un pont et tourne à droite, on dirait un quartier de prostitution, sale et sombre, puis ça redevient propre, résidentiel. On croise plusieurs de petites rues, avant qu’elle ne s’arrête devant une porte de garage. « Entre. Dépêche. » Crisse, je suis pas ton chien… Mais je rentre, poussé dans le dos par deux petites mains fragiles et fortes malgré tout. Au fond, un bruit de douche. Elle me force à pénétrer la salle de bain clairement occupée.
Il n’y a aucun rideau cachant la déesse à crinière blonde aux seins plantureux, qui me regarde tranquillement tout en fermant le courant de l’eau. Poker face, crisse, go. « Ma coloc, Ula. Ula, un gars du métro. » Ula hoche légèrement de la tête, un sourire poli, me fait coucou des doigts en sortant du cubicule, à deux pouces de moi tentant de cacher du mieux possible une tension grandissante dans mes boxers. La bibliothécaire me tire par le bras, laissant sa coloc sortir s’habiller dans sa chambre. « Les présentations sont faites, assis-toi sur le sofa. » Ula passe devant nous avec une expression de « ben voyons, c’est pas la première fois qu’il voit une fille prendre sa douche, me semble », tandis que l’autre me pousse d’une main vers le sofa. J’essaie de m’installer respectueusement, mais « on dirait que t’as un poteau dans le cul. Mets-toi à l’aise. » Elle s’assied sur ses jambes, à ma droite, alors je repose mon dos sur la banquette, les mains toujours sur les genoux. « Ton nom, c’est…? » Elle me coupe avec un chut imposant, le visage aussi opaque qu’un mur de béton armé. Ula sort de la chambre, fishnet et coat de fourrure, embrasse sa coloc sur la bouche, avec un œil en coin sur moi, puis nous laisse seuls. Putain… Quessé j’ai fait, dans quel coin de porte je me suis coincé l’orteil encore?
-Comment tu la trouves? Est de ton goût?
-Hein?
-Ma coloc. Réponds. Est sex, non?
-Euh, bah…
-Eille. Réponse claire. Est sex. Oui. Ou non?
-Oui, oui, oui, est.. est est.. oui.
-Tu veux la baiser?
-Quoi?!... J’veux dire, euh…
-Pis moi. Tu m’trouves sex?
-Euhfff… (Putain dans quoi, j’me suis embarqué, calice… Elle est chaude, mais je me vois pas lui dire ça, plain simple!)
Ses lèvres commencent à former un sourire malsain. Avec ses petits doigts gauches, elle soulève ma main droite, la pose sur le dessus de la banquette, s’avance vers moi lentement, et place sa droite à elle sur ma cuisse, en montant.
-À quoi tu penses?
-À euh… Je p… Oh, tsé… Euh, c’est… C’est… à moi, c’que tu pognes, là, en passant…
-Oh, is it, now? Non, je pense que c’est à moi, maintenant. Est-ce que tu la trouves plus sex que moi? RÉPONDS.
-OW! T’accroche ça solide, toi… (J’suis dur pis elle l’agrippe fort en…)
-Réponds.
-Vous êtes pas mal différentes, c’est pas évident… (J’ai chaud, calice. Sortez-moi d’ici, quelqu’un!)
-Tu serais moins tendu si je déboutonnais?
Ses paupières se rehaussent légèrement, elle mordille sa lèvre inférieure, et je vais exploser si elle ne cesse de me caresser de partout. Il faut trouver une fuite facile, mais rien de déplacé. Détends-toi, calme, calme, tout doux. Fais une farce. Tiens, elle retire ses mains… Oh dieu, non, elle les pose sur sa poitrine et fait la moue. Ça dure des plombes, ça va finir, oui ou non? Oh god, elle s’approche… « Tu veux faire ça avec moi? » Elle fait un rond avec sa main gauche, et passe son doigt dedans, countless times… C’est ta chance, le gros. « …Ok! » Je forme un rond avec ma main, et passe un doigt dedans, countless times. Ses sourcils froncent. Elle sourit. Ses épaules fragiles rigolent. Retombe sur ses jambes, la main couvrant sa bouche, son rire. « Tu niaises. Right? » Soit est étonnée par ma stupidité, soit elle... « You’re cute. » Ça ne rit plus. Ça sourit. Ça pose sa tête sur son poing, le coude sur la banquette. Ça pourrait bien finir, qui sait.
-You like me, do you?
-To be honest... Pas vraiment non. Désolé, mais t’es pas du tout mon genre… T’es une bonne personne, voilà. Je supporte pas la compagnie des bonnes personnes.
-Tu trouves que j’ai l’air heureuse, moi?
-J’ai pas dit heureuse. J’ai dit bonne personne.
Elle garde les yeux mi-clos, son sourire s’est éteint. Je lui déballe un paquet de phrases prémâchées, qu’elle semble se faire du souci pour ce qu’elle projette par rapport avec ce qu’elle est réellement, que ça lui donne une conscience de réfléchir à s’en ronger les ongles comme elle doit le faire, considérant ses doigts boudinés, et que par conséquent, elle s’empêche d’être libre, la tête toujours plongée dans ses livres au milieu de la station Jean-Talon.
-Par contre, j’avoue que ton french, pis tes méthodes, c’est pas mal funky…
-T’es le genre qui size une personne du premier regard, c’est ça?
-Pas vraiment, non. J’ai toujours l’impression que je vais me tromper, parce que de toute façon, les gens changent à chaque jour, pour être au goût des autres. Mais finalement, on reste tous pareils. On veut plaire, mais « rester nous même ». Bref, t’es comme n’importe qui.
-… T’es ben bête. T’aurais juste pu la fermer pis have it your way with me.
-C’est pas parce qu’il y a une offre que la demande y est. J’aime juste pas ça. Le… truc, là.
-Le sexe. T’aimes pas le SEXE? T’es vierge ou quoi?
-Peut-être justement que je l’ai trop fait avec une personne que j’aimais pas qui m’a rendu froid. Pas envie de rentrer le poteau dans le trou juste quand l’occasion se pointe…
-Phrase de loooooooser!
Une respiration, les yeux au sol. Je me lève, reste dans le portique. « Maybe… I guess I am. But I’m free. » J’ouvre la porte et quitte, laissant derrière moi une bibliothécaire à la chemise blanche tight au niveau de la poitrine, une longue jupe noire dans laquelle se love deux cuisses minces enleggingnées, et deux petits souliers pourpres. Ses lunettes doivent s’embuer, à présent, les doigts grattant le ventre d’un chat imaginaire sur son sofa brun.
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