mercredi 18 août 2010

A place to call home

Musique: 'Flamenco Sketches', de Miles Davis.
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Depuis deux heures que je marche, si ce n'est pas plus. Le pneu arrière de ma bicyclette est percé, et la transporter sur des kilomètres, ça devient radicalement gênant. Je ne sais pas ce qui m'a pris, de partir sur un coup de tête pareil... Le soleil commence à se couvrir. Les seuls indicateurs de temps qu'il me reste sont la circulation qui diminue de plus en plus et, si j'ai de la chance, une cabine téléphonique affiche l'heure au moment où je passe.

J'ai froid...
Le vent se lève, et des gouttes de pluie commencent à tomber. Je n'ai ni manteau ni chapeau, ni rien. Je suis parti si vite, je n'ai pensé à rien emmener, je voulais juste aller loin. Rendu au coin d'un boulevard très achalandé, je m'installe sur un bloc de ciment dans un terrain vague. Une ancienne boite de strip. LA boite de strip de Curé-Labelle. Il se fait tard, mais j'attends que la circulation dérougisse avant de bouger. Mauvaise idée, car la pluie commence à battre, à me battre. Il faut que je change de place au plus vite... La tête par dessus le guidon, les lunettes embuées par l'effort qu'il me faut pour rouler sur la roue crevée, j'arrive à peine à faire du 10 km/h, alors je redescends et coure du plus vite que je peux pour me réfugier sous un arbre. Plus qu'une dizaine de rues et je serai enfin sur la route principale... Encore l'effort pour pousser, pousser, et pousser. Je suis trempé jusqu'aux os, mes vêtements collent et pèsent une tonne, et la pluie tappe toujours plus fort. Je coure comme un défoncé, les oreilles me brûlent, je ne vois rien, mais je fini par arriver sous un petit toit d'un café.

Il n'y a personne, et je pleure.

Mes larmes se fondent avec la pluie qui coule de mes cheveux... Perdu, défoncé, saoul... Le haut-le-cœur me prend, mais je n'arrive pas à vomir. T'es devenu pathétique, mon gars. T'as voulu t'en sortir en pensant que ça allait tout régler, mais dame nature t'a rattrapé et maintenant, tu subi les conséquences. Regarde autour de toi: aucun repère. Personne n'es là pour pleurer sur ton sort. Tu as beau prier ton dieu, faire ta petite prière, mais il n'y aura pas de sauveur pour toi ce soir. Regarde toi maintenant: tu fais pitié avec ta chemise et tes jeans trempés, tu ne vois même pas le bout de ton nez dans cette noirceur, et tu pleure... Tu te souviens, cette phrase dans Amélie? "Mais elle, qui va s'en occuper?" Tu aurais pu être celui qui s'en occupe. Tu aurais dû avoir plus confiance en toi, tout à l'heure... Mais tu as préféré te rabaisser sans cesse et faire l'imbécile. À voir ton état, aucune fille ne voudra de toi. Alors ressaisi toi et prends les choses en main.

Tu n'as plus quatorze ans.

Tes amours ne sont plus aussi inoffensifs qu'avant, ils te suivent et te tourmentent. Et, la tête baissée, la tête en mille miettes, le cœur en lambeaux, tu restes là sous la pluie, à sentir chaque goutte sur ton frêle squelette et à espérer que tout cela finisse. Les espoirs que tu fondais sur des scénarios, tu finis par les trouver stupides et sans réalisme. "Comon Julie, juste une p'tite nuit"... C'est beau et triste, de penser qu'une chanson peut aider ta cause. Mais les faits sont là, et tu as décidé de fuir au lieu d'accepter ce qu'elle t'a dit.

Le vent redescend. Au loin dans le ciel, des éclairs illuminent le ciel, le tonnerre gronde faiblement. Il reprend sa bicyclette et marche affaibli vers un autre repère. En marchant sur la maine, il finira bien par tomber près d'un commerce encore ouvert. Son corps est couvert de sueur, de larmes et de pluie. Aucun lampadaire ne couvre son chemin; il ne fait que marcher sur le trottoir. L'alcool se dissipe, mais sa tête fait encore des flammèches. Le froid le prend. Il éternue. Il halète. Entre deux coins de rues complètement abandonnées, il n'a plus de force et n'avance plus.

Il tombe au sol...

Sa bicyclette tombe de l'autre côté. Il laisse ses cheveux tomber sur son visage, l'aveugler plus qu'il ne l'est déjà, par la rage ou par l'amour qu'il pensait avoir. Peu importe. Il ne réussi même plus à penser. Ses deux mains sur l'asphalte, accroupi sur ses genoux... Le poing sorti, un coup, deux coups, trois puis quatre puis cinq. Une plaie laisse couler une petite goutte de sang, invisible au regard dans la pénombre, mais qu'il sent et couvre de sa bouche. Il pose ses lèvres sur sa jointure... Leurs places ne sont pas là où elles devraient être, pense-t-il. L'insensibilité l'attrape enfin. Il se lève et marche comme un moribond, au milieu de l'avenue déserte. Toute chose a perdu sa pesanteur, vêtement comme véhicule. Vide de toute pensée, espoir ou force, il avance sans savoir sa destination...

Enfin, un téléphone.

Il pose son vélo contre la cabine, entre et plonge sa main droite dans sa poche, le regard blanc. En la sortant, plusieurs pièces tombent. Il en ramasse deux, trois, les insère dans la fente et compose un numéro. Le seul qui lui revient à l'esprit. Quatre coups de tonalités et ça répond.

-Ouais allo?
-.....
-Aaaallo..?
-Simon... chu perdu... (une larme sort, puis une autre. Il renifle.) Pen... penses-tu que tu pourrais me lifter? (il tousse)
-Euh... ouin, ben donne-moi genre cinq minutes. T'es où, là?
-Dagenais... devant le dep...
...

La tonalité. L'autre main sur le front. Les yeux fermés. J'ai l'impression d'être mort... Il ne viendra jamais, mais j'attends quand même. J'ai rien à écouter, sauf la tonalité du téléphone...

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Dans sa voiture, une couverture sur le dos, le bicycle dans le coffre, je suis là à trembloter comme jamais. Je regarde mes genoux, puis ferme les yeux et dis, simplement: merci, man... On passe le reste du trajet, un bon vingt minutes, à ne rien dire.




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Jean, mercredi soir, 1h22 am.

4 commentaires:

  1. J'aime bien...
    Le "je" et le "il" j'ai pas trop compris...pour être franc.

    L'incommunication, la solitude, la tristesse... ont-elle un lien avec le Jean qui écris?
    Prends-le pas mal; c'est juste que ce sont des thèmes récurrents dans les quelques textes que j'ai lu...
    COntinue à écrire...ou sinon amène toi en Amérique du Sud! Ma porte est grande ouverte!

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  2. Le "je" est rarement autre que moi. Si ces thèmes semblent récurrents, c'est que je les vis au quotidien, j'écris sur ce que je connais.
    Le 'je' qui passe au 'il', disons que c'est de la distanciation du corps, la perte de sensation.

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  3. Ah!! Ok!! C'est bon!
    Je te lance le débat, et c'est purement objectif, alors une belle discution:

    Du point de vu métaphysique (spirituel ou appelle le comme tu veux), un individualisme profond n'est-elle pas cette capacité que les humains ont d'analyser ses sentiments, ses sensations, en devenant plus grand qu'eux? Cette distnaciation qui nous permet ornementer ce que l'on sent; ne serait-il pas plus juste parler au "il"?

    J'aime beaucoup comment tu écris. Sort ton objectivisme et on débat littérature!

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  4. Devenir plus grand, honnêtement, je ne crois pas. L'idée est belle, mais n'a pas de sens. On est ce que l'on est; on ne peut pas être plus grand que soi, que ses connaissances, conscientes ou subconscientes. Quant au "il", c'est une distanciation qui n'accorde pas l'illusion du réel. Ya quelque chose qui manque, qui échappe au lecteur.

    Partir une discussion ici... haha, j'pense qu'on serait mieux autour d'un bon maté :P

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