Tout a commencé avec Jay. On jouait à cache-cache dans son sous-sol, dans la chambre des machines. Une guitare électrique, rouge, abandonnée. «C’est à toi? Ton père? Il en joue pu? Pourquoi, est super belle…» Je me foutais d’être trouvé, je voulais gratter les cordes, sortir des mélodies. Mais j’ai toujours eu des doigts en pouce, Jay m’a dit que j’étais mieux de taper. J’ai pris une baguette chinoise du souper, commencé un petit rythme sur le chauffe-eau. On commençait à écouter Bloodhoung Gang, même si on ne comprenait pas les calls vraiment dirts. On se trouvait hot, quand on réussissait à faire une toune complète. On gueulait «Suck it!» sans savoir trop ce que ça voulait dire. Puis, mon frère m’a initié à Millencolin. On voulait faire du punk. Jay a dit non, je suis resté derrière mon premier set de drum. J’ai demandé une guitare pour mes 12 ans. C’était la seule chose qui m’aurait fermé la gueule pour entrer dans une école aussi répugnante que Brébeuf. J’attendais d’être dans le parc du Petit Prince le soir pour en jouer, en été, loin des bums qui fumaient de la drogue ou je ne sais quoi. J’ai commencé à écrire sur eux, qu’ils me foutaient la trouille, qu’ils m’inspiraient. J’avais peur, qu’on me frappe, qu’on me pique, ou qu’on pique ma guitare. Mais une fille m’a approché. J’ai tenté de la repousser, je me suis mis devant ma guitare et pas le contraire. Elle m’a demandé de jouer Wish You Were Here. Je connaissais pas, alors elle m’a sifflé l’air. «We’re just two lost souls, vas-y avec l’air, moi j’vais chanter… We’re just.. non, un peu plus bas, ouais là.» J’ai voulu faire entendre du Floyd à Jay, mais lui préférait Blink… J’ai demandé à mon frère de m’accompagner. Lui, préférait la basse. In the neighborhood, I was playing the goddamn guitar, and I think of the smell of her hair, she was getting drunk, pressed her shoulder against mine, getting drunk for her. J’ai découvert Disturbed, Craddle of Filth, et trop tard, Arcade… Putain qu’elle a joué souvent dans ma chambre, Neighborhood #3. Des fois, c’était seulement à la batterie. Ensuite, les Doors, le jazz, les solos de Take Five ou Blue Rondo.
Pendant cinq ans, je restais dans le parc de mon école primaire pour jouer avec les bums, à essayer de durcir ma carapace, ne pas laisser paraître les années du moi souffre douleur. À découvrir Green Day, The Ramones, Black Sabbath, Metalica, trouver des riffs, la nuit, dans mon lit, tromper le sommeil avec des mélodies que je n’aurais pas pu leur faire entendre. Jay a déménagé, la fille punk est partie aussi, et ma copine qui préférait les Destiny’s Child, les Aiguilera, pour ne plus m’écouter rejouer pour la centième fois Something In The Way. C’était loin d’être la plus dure à jouer, mais elle avait quelque chose dans le ventre, cette estie de toune. «It’s okay to eat fish, cause they, don’t have any feelings…» And I can still hear the scent of your hair on my shoulder, girl, but I saved that kiss for another, a later story. Je ne lui tenais plus la main, on ne s’aimait pas, on jouait aux cons, et puis de toute façon, on n’a jamais baisé, rien ne nous a scellé. Quand elle s’est enfuie de moi, j’ai juré que plus jamais, la vie à choisir entre les filles et la guitare. Les filles du quartier, elles sonnaient toutes phonie. J’ai lu Catcher in the Rye, je traitais tout le monde de phony. Je me suis fait mettre dehors du cégep. Et puis, c’était Leloup. En l’écoutant, je n’avais plus envie de jouer. Plus jamais, la musique. J’essayais de jammer comme lui, mais je faisais honte à l’instrument, je l’ai senti. Personne ne peut jouer de guitare sans se sentir soi-même phony, après Johnny Guitar. Alors j’ai mise ma guitare au rencart, dans la chambre abandonnée du frère. J’ai troqué l’instrument contre une machine à écrire. Et malgré les cigarettes qui nous séparent, ton odeur, ta chaleur ne m’a pas quitté. I still live in the neighborhood. You still do. J’ai envie de jouer Summertime. Retrouver les parcs, jouer un riff de Marvin Gaye, «I know flowers grow from rain, But how can Love grow from Pain!» Tu m’as saoulé, miss Robinson. Did you try to seduce me?
II: les éclopés (28 décembre)Phil got his thumbs chopped off, at the factory, last day of work. Ce matin-là, il avait été malade. Vomi, dans la corbeille, en allant chez Jay. Il a été assez généreux pour lui offrir son lit, le laisser se reposer, mais après seulement quatre heures de faux sommeil, il s’est senti obligé de retourner au boulot. C’était supposément son dernier quart de travail, c’aurait été trop bête de manquer un morceau de salaire avant de partir dans la vieille capitale avec son copain de toujours. Mais voilà. Il a manqué d’attention trois secondes, le temps de s’endormir et de se réveiller en sursaut, et la machine lui a scié le putain de pouce. C’est le deuxième éclopé du voisinage. L’autre, c’est l’un des deux jumeaux de la dame d’en face, une vieille qui ne sort pas souvent. Lui aussi, c’est à la shop qu’il s’est coupé. Au poignet droit. Dans le quartier, ça jase, entre les matantes. «Les pauvres… Si jeunes, et déjà ruinés…»
My brother once tried to gut me, but instead, all he got was my nutsack. Damn was I crying like a madman. J’ai encore la cicatrice. Je crois. J’ai arrêté de vérifier à premiers ébats amoureux. J’avais peur que ça déchire, à nouveau. Une fois la peur passée, j’ai arrêté de vérifier. Pour me venger, j’avais lancé mon chat déjà vieux à l’époque, j’étais tout petit, avec toutes ses griffes dans le visage de mon frère, à sa grande surprise. C’est de là que viennent ses cicatrices au visage. Mon père, c’est une autre histoire. Le voisin, complètement saoul, s’est pointé dans notre cour en lui gueulant après. «C’TU TOÉ QUI VEUT BAISER A’C MA FEMME? AMÈNE-TOÉ, CALISSE!» Il est sorti juste pour essayer de le calmer. Il s’est pris un coup de baseball bat sur le crâne. D’où sa mâchoire difforme. Elle aussi laide que ma mère, sa femme, en plus… J’ai jamais compris d’où il avait sorti cette illusion. People are crazy bastards, I guess.
The neighborhood is filled with dumb fucks. J’avais un pote, au primaire. Sam. Ses parents étaient témoins de Jéhovah. Jamais su ce que ça voulait dire, avant le secondaire, soit quatre ou cinq ans avant son déménagement, dans le fond de Rawdon. Chez lui, on ne fêtait jamais les anniversaires, ni Noël ou Halloween. Je l’enviais. Mes fêtes finissaient toujours au désastre. J’ai jeté le gâteau par terre, à mes quatre ans, parce que mon père m’a pris en photo contre mon gré. Dumb fuck I was too. À six ans, I bitch-slapped ma meilleure amie parce qu’elle m’a offert le cadeau le plus honnête ever. Un sac de billes, dont une, gigantesque. A smasher, we used to call it. Moi je voulais des Batman, des Power Rangers. La pauvre. Je la dénigrais parce qu’elle avait un bec de lièvre. Mais c’était la seule qui m’avait donné un bisou. Dans sa chambre de fille, avec son fauteuil de princesse Disney, en minou rose. I should’ve married that girl. Boy was she sweet. The neighborhood was full of sweet people too. Mais on était tous paumés, des vrais connards. Des gens comme dans Young Adult de Jason Reitman. On avait tout pour être heureux dans une banlieue crade, mais chacun ses blessures de guerre, des doigts en moins, parfois des poings, sur la gueule, et une queue atrophiée. Ma première copine est partie juste à temps. Je n’ai jamais eu le malheur de lui montrer le désastre. La seconde, elle avait son lot de cicatrices aussi, d’un autre quartier. Elle n’a rien dit, n’a jamais eu peur. Ou sinon, elle vomissait en silence, en retrait. We’re all freaks.
III: les lieux (29 décembre)On allait aux arcades, aux Galeries Laval. C’était avant qu’ils rayent tout de la carte pour installer les bureaux de Tecnic. La plus populaire, la plus high tech, c’était le simulateur de vol en sphère. Jay et son père tripait à se faire virer dans tous les sens, attachés de tout bord tout côté, tandis que moi, je jouais seul au air hockey. Une fois par deux ou trois mois, on se ramassait dix ou quinze dollars et on ruinait tout à l’Arcade 2000. C’était après la fermeture du Centre 2000, sur Daniel Johnson. Le Centre 2000, avec ses grandes allées vides, où circulaient les balles de tumbleweed, tellement c’était vide. La mauvaise herbe s’installait à l’entrée du cinéma Odéon, là où j’ai eu mon baptême du cinéma, avec Casper, le premier. Puis, c’était Titanic. Le Centre 2000, avec sa machine à gomme géante et ses gommes T-rex, disparues depuis; avec son Dollorama, les figurines de Dragon Ball qu’on collectionnait. We hung out at such dorky places, with the neighborhood… Mais on était bien entouré. La première gardienne dont je me souviens, elle était blonde, avec une couette, et m’aidait à faire mon casse-tête Babar, ou Passe-Partout, avant que ça disparaisse des écrans. Elle est venue seulement une fois, mais je me rappelle encore. Mon premier crush. La deuxième personne qui m’a gardé, avec mon frère, c’était Fred. Fred, qui habitait au coin de la rue, qui jouait aux épées avec nous, au jeu de serpents et échelles, et qui nous a initiés à l’humour de Pauly Shore dans l’armée. Lui est resté plus longtemps, mais paraît qu’il était souvent sous les drogues et tout, et quand ça s’est su… You know, parents’ stuff. «On va vous trouver quelqu’un de mieux.» Chez Jay, il ne sortait pas souvent, et comme on était copains, ça aidait à rester chez eux sans qu’on pleure l’absence de papa maman. Kids’ stuff.
We went to the same places, always, like swimming lessons, tennis courses, the games, the pool. This one time I went for my swimming exam, I was maybe seven or eight, playing with my Batman toys, left it there, pass the exam, like a boss, eyes full of goddamn chloral, getting out of there, leaving Batman behind… Kid cried for a year for his goddamn Batman toy. Never found the bastard. Il y avait cette fille, Marie-Chantale. J’ai toujours eu la mémoire courte, et en plus, avec un prénom composé. Alors je l’appelais «Eille». Un jour, elle s’est tannée. «J’m’appelle pas Eille. J’ai un nom.» Smart kid she was. Elle était mignonne, mais ce n’était qu’une amie de la piscine. Une fille dans le coin de Sainte-Rose. Une fois, j’ai dû attendre ma mère chez elle, on a joué à Duck Hunt au Nintendo. C’était la dernière fois que je l’ai vue. De ce temps-là.
You never really leave the neighborhood. Sometimes, you just meet old people you once knew. Like this girl. Boy did it felt weird when I saw her, last season, in a McDonald’s parking lot. You know, when you want to say hi, but then it’d be awkward as hell, so you just kind of shut up, and look at what they’ve become on Facebook. We still do kid’s stuff. I still search those T-Rex gums. My old Batman action figure… But the Arcade is still down in history. So is the supermall…
«Please… Let me keep this one memory. Just this one.»
-Eternal Sunshine of the Spotless Mind.
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