samedi 20 novembre 2010

Tu disais

Musique pour lire le texte
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Je t'écrivais des histoires. T'as dit, un soir qu'on jasait sur le net: "Écris-moi une histoire. Divertis-moi." Tu faisais un devoir de français, et on avait 14-15 ans. Te souviens-tu notre deuxième sortie? On était assis près de la fontaine Saint-Louis, et un itinérant est passé pour me dire de te dire: "T'as de beaux yeux, tu sais?" Et ta tête sur mon épaule, on en revenait toujours pas du film qu'on venait de voir. Souvent, tu disais: "C'est compliqué. J'te raconterai, un jour." C'était l'été où mes parents devaient fêter leur vingtième anniversaire de mariage, et tout avait dégénéré. Je voulais fuguer. Alors, t'as envoyé Étienne me chercher. "Je pouvais pas me rendre. Tu le sais." C'était la première marque d'affection que tu m'as démontrée. Ça et les histoires qu'on écrivait ensemble.

Des fois, ça t'arrivait de m'appeler "mon ange". Mais ça te faisait pleurer, tu préférais rester distante. Comme si depuis le début, tu savais que t'allais me briser, un jour ou l'autre. Tu m'avais même demandé plein de trucs sur moi, avant qu'on se voit pour la première fois. "C'est pour un poème. Je sais, c'est quétaine. Tu me rends quétaine", tu disais. Quand on s'est rencontré pour la première fois, tu m'as fais écouter Hide and Seek de Imogen Heap. Le lendemain, je suis revenu avec le cd déjà tout consommé pour te l'offrir, te remercier de la découverte. En arrivant au métro, on s'est embrassé pour la première fois. Et tu pleurais.

À la rentrée des classes de ma deuxième année de cégep, tu venais d'arriver en ville. J'avais fumé un gros pétard avec Bob après avoir calé de la tequila. Et toute la soirée, tu t'es inquiétée pour moi et ma face verte. "T'as pas l'air bien... Veux-tu que j'appelle un taxi? T'as vraiment pas l'air de filer." Cette fois-là, c'est moi qui pleurait. Je voulais t'éviter cette image de moi, complètement fini, la tête écrasée entre les genoux. J'aurais préféré me souvenir de notre premier rendez-vous. "Il faut que j'me trouve une robe, pour ma fête. Connais-tu le Valet de Cœur?" Je n'avais jamais vraiment visité Montréal. Tu m'as trainé sur tout le Mont-Royal, et j'en revenais simplement pas comment tu pouvais avoir un aussi beau visage. Et que tu puisse apprécier ma présence. Tu m'as même amené dans un sex shop. Juste pour rigoler.

On a passé une soirée d'hiver à chercher un bar, en faisant semblant qu'on était des amoureux pour une nuit. "J'connais un raccourci, viens", tu m'as dit avec un petit sourire naïf. On a marché pendant près d'une heure avant de réaliser qu'on était revenus au point de départ. J'avais la mâchoire gelée, mais on a rit pendant que je réchauffais mon menton avec la chandelle qui était sur notre table, au St-Ciboire.

Je t'avais trainé à la Cinémathèque, un jour. "C'est le film des Daft Punk, dans une semaine. J'veux être sûr d'avoir mon ticket." Tu connaissais pas, alors je t'ai fait entendre leur best of, parce que c'est tout ce que j'avais, à ce moment-là. Pour t'impressionner, j'ai écouté tous les albums de Pink Floyd en une nuit. Le lendemain, tu partais en voyage autour du globe. Je voulais te garder pour moi. "T'es tellement selfish, des fois, j'me d'mande pourquoi je t'aime" ça t'arrivait de dire. T'avais frustré parce que je t'avais corrigé sur la date de sortie de l'album Animals que t'avais confondu avec celle de The Wall. J'ai rêvé à toi des centaines et des milliers de fois. As-tu déjà rêvé à moi?

Pendant un moment, t'habitais l'appartement de ta tante partie en voyage. J'ai mis du jazz et on a dansé un slow pendant que ton spaghetti sauce cuisait lentement. "J'aime pas le jazz d'habitude. Mais ça, c'est pas mauvais." Tu disais: "Les trompettes, c'est un instrument joyeux. C'est fait pour le ska, pas pour être triste." Alors tu pleurais. Mais on était pas triste. Les matins, chez toi, c'était ton chat qui nous réveillait à coups de griffes sur les orteils, sous la couverture. "Yé pas méchant. Juste jaloux." Et tu souriais, alors on s'embrassait.


On s'est perdu de vue, on fréquentait différentes écoles, alors on faisait semblant d'être des old-school qui s'écrivent des lettres. L'avant-dernière, ou l'autre d'avant, tu m'as écrit: "C'est compliqué. Ma sœur m'a dit que l'amour, c'est autant physique que psychologique. Si je peux pas te sentir, si je peux pas me coller contre toi, c'est comme si yavait rien. Je t'aime, mon ange, mais c'est compliqué. Je suis désolée." Sur la feuille mobile pliée en origami comme toi seule le faisait, j'y retrouve encore des petits cercles où l'encre a déteint. Tu disais: "Si seulement... Mais tu comprends... C'est pu possible." Te souviens-tu de cette soirée où ta sœur avait organisé un défilé de mode? Un vieux, dehors, avait gueuler du haut de son balcon et je lui avait rendu son cri. Et tu m'as dit: "T'es ben con!" avec le gros sourire dans la face. "T'as pas de classe; j'te sortirai pu jamais. Tu m'entends? Pu 'amais!" Et le lendemain, on se saoulait la gueule au St-Sulpice, parce que c'est toujours là qu'on finissait, quand on allait en ville.

Mais t'étais rendue loin, t'avais switché de carrière, tu voyageais, tu changeais. "Toi, tu changeras pas... Grow up esti, tu vas pas rester un bébé gâté pour le reste de ta vie." Tu devenais froide. Dans les moments gris, entre deux longs silences au téléphone, tu m'engueulais. Alors, je prenais des antidépresseurs. Je ne voulais pas pleurer. Je voulais que tes paroles s'envolent, comme si tu ne m'avais jamais détesté. La dernière lettre que j'ai reçu de toi, il y avait juste un cd compilation, sans titre ni rien. Juste des chansons où des types sont tristes et parlent d'amour et tout. J'ai lu Salinger, et je me suis mis à boire fréquemment. Tu m'as effacé de ta vie, comme un mauvais souvenir.


Alors je mets tes mots entre guillemets, parce qu'en les mettant en cage comme un oiseau, j'ai l'impression qu'ils m'appartiennent pour toujours. Alors que je sais qu'ils ne prennent leur vraie beauté que lorsqu'ils sont en liberté, dans ta bouche.

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JD
samedi soir, 20 novembre 2010, minuit 36

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